Contre-pouvoirs: à El Watan, l’indépendance est un combat au quotidien

Après vingt années d’existence et de combats pour la presse indépendante algérienne, Malek Bensmaïl pose sa caméra au sein de la rédaction du célèbre quotidien El Watan, nécessaire contre-pouvoir à une démocratie vacillante, à l’heure où Bouteflika s’apprête à briguer un quatrième mandat. Une rencontre avec celles et ceux qui font le journal, leurs doutes, leurs contradictions, leur souci permanent de faire, chaque jour, un journal libre et indépendant. Une réflexion sur le travail et la pensée journalistique.

Le réalisateur Malek Bensmaïl , avec les responsables de l'Asla et du cinéma Les Carmes.

Le réalisateur Malek Bensmaïl, avec les responsables de l’Asla et du cinéma Les Carmes.

“Une pierre en plus dans la maison Algérie que j’essaye de construire de film en film” : avec Contre-pouvoirs, sur la presse indépendante, Malek Bensmaïl poursuit son exploration des lieux de pouvoir pour mieux comprendre la mécanique sociale d’un pays qui se cherche. Il a ainsi abordé le FLN (Guerres secrètes du FLN, 2012,  l’école (La Chine est encore loin, 2010, les élections (Le Grand jeu, 2005 et Boudiaf, un espoir assassiné, 1999), la santé mentale (Aliénations, 2004,  les arcanes du pouvoir et la décennie sanglante (Algérie(s), 2003)…

120 journalistes assassinés

Image du film

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En partageant le quotidien des journalistes d’El Watan à l’époque où, malade, le Président Bouteflika brigue un quatrième mandat, Bensmaïl choisit un journal qui se bat pour “préserver la liberté d’informer dans un pays politiquement et socialement sclérosé”. Le chantier de ses nouveaux locaux dans un immeuble du quartier de Kouba, qui traîne pour cause de financement, est mené par une entreprise chinoise employant des ouvriers turcs, maliens ou guinéens…

Image du film

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Ne quittant les bureaux de la maison de la presse (vieux bâtiment colonial où les journaux se sont regroupés pour échapper aux attentats des années 90, entre 1993 et 1998, 120 journalistes ont été assassinés), que pour jeter un coup d’œil à ce chantier, il utilise l’huis-clos et la géographie des locaux pour dresser un portrait sans concession de la vie de la rédaction et de la fabrication du journal au quotidien.

Le film démarre sur le jogging quotidien sur un tapis roulant de son directeur de publication, Omar Belouchet, image qui reviendra de façon récurrente pour montrer l’engagement sur la durée de cet homme qui a survécu à deux tentatives d’assassinat (dans laquelle il a perdu son épouse) et de multiples menaces de mort, procès, condamnations, ainsi que cinq suspensions du journal. El Watan fut le premier à introduire la couleur et à moderniser sa maquette, et a acquis une notoriété internationale. Pour son indépendance, El Watan a autonomisé sa distribution, son impression et ses recettes publicitaires.

Au coeur d’El Wantan

Contre-pouvoirs est un film remarquable car il s’agit d’abord, pris au premier degré, d’un document authentique, mais traité par un cinéaste, en plans rapprochés, sur la vie d’un journal, d’une rédaction mais pas seulement.

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Par petites touches, le réalisateur comme un vrai reporter, saisit aussi l’environnement technique d’un journal qui fait toute la différence entre un cénacle d’intellectuels qui disserte sur la vie de la cité et des journalistes et ouvriers du livre qui ont un canard à boucler…Tout y est, la course contre la montre quotidienne, des canardiers à la recherche du bon titre, des secrétaires de rédaction en recherche de papiers pour boucler une page loisirs, du caricaturiste à larecherche d’angles, et du rotativiste qui pioche au cul de la “roto” les premiers exemplaires tout frais, pour vérifier si les couleurs ont bien “repérées”. Et des échanges savoureux entre des journalistes issus de différentes sensibilités, mais qu’on sent tous politiquement aguerris par des combats politiques de jeunesse au fil des drames et des soubresauts de l’Algérie des années 90-2000.

L’intelligence, la faconde et l’humour des journalistes filmés par Malek Bensmaïl, font le reste avec en fil rouge l’élection présidentielle de 2014, la quatrième pour Bouteflika. En apothéose, la Une d’El Watan le lendemain du scrutin, avec la photo du Président dans son fauteuil roulant et ce titre génial, “Bouteflika réélu dans un fauteuil”. Une impertinence qui traduit bien ce paradoxe d’une Algérie à la fois corsetée par un pouvoir omniprésent, mais qui laisse des espaces de liberté comme ces quelques journaux indépendants.

Ch.B

Malek Bensmaïl a répondu, devant une salle pleine aux questions des spectateurs du cinéma les Carmes dimanche à Orléans qui organisait une avant-première parrainé par l’ASLA (Association de soutien Loiret-Algérie). Il a aussi répondu à Magcentre

Interview. “Le changement passe par une véritable révolution culturelle”

Malek Bensmail, la presse est-elle libre en Algérie?

Oui

Mais vous dites, à contrario, que ce n’est pas un vrai contre-pouvoir. Pourquoi?

Pour moi un contre-pouvoir, c’est par exemple la presse américaine qui peut aller très loin jusqu;’à la destitution. Impossible en Algérie. On sait pertinemment que la presse indépendante, c’est une liberté qui a été accordée, plutôt arrachée, mais ce n’est pas la presse qui peut contrer le système

Comment ne pas se décourager au sein de cette rédaction, après le résultat de Bouteflika? Comment peuvent-il ne pas être cruellement déçus. 

Non, car ils savent très bien qu’un président qui se représentent pour la quatrième fois en changeant la constitution sera réélu. Ils souhaitaient simplement qu’il y ait une part des voix, même infime, pour l’opposition, afin de préparer l’avenir. Le pouvoir lui n’a même pas envisagé cela. 

Ce qui est étonnant dans cette rédaction, c’est la cohabitation entre des journalistes visiblement de sensibilités très différentes et qui peuvent non seulement discuter entre eux, mais  s’exprimer dans les colonnes.

El Watan a une ligne éditoriale basée sur l’information la plus juste et tente de révèler tous les dossiers cachés, mais il laisse la possibilité à tous les journalistes de travailler sur le subjectif. On le voit dans le film, lors des comités de rédaction chacun s’exprime et puis à un moment donné, Belhoucet tranche et il dit, “c’est toi qui va faire le papier”, car il y a chez celui-là un peu plus d’équilibre…Il laisse remonter l’espace personnel et du coup le journal a un angle. 

Ce n’est bien sur pas l’angle du film, mais on ne perçoit pas de position du journal sur l’islamisme radical…

Il a eu une position assez tranchée contre. Mais les journalistes l’ont payé lourdement. Très vite, Omar a compris que ce n’était pas la bonne manière, il a fait marche arrière. et il a ouvert les colonnes du journal à des avocats du FIS. Lui en a beaucoup souffert mais il a réfléchi et il s’est dit, ils font partie de la population. C’est aussi le visage de l’Algérie.

Quel était votre objectif en tournant à El Watan?

Il s’agissait de rendre hommage à la presse indépendante. 25 ans plus tard, ces journalistes se sont battus , il y a eu du sang chez eux aussi, la société algérienne a été meurtrie, et l’Algérie est maintenant rentrée dans une normalité. On pense qu’à partir du moment où il ne se passe rien, dès lors qu’il n’y a pas de chaos violent, tout s’est calmé. Dès lors les médias internationaux et les autres pays ferment les yeux. Non, il y a des violences invisibles au quotidien. C’était donc le moment où jamais de rendre hommage à ces journalistes pour le travail qu’ils font aujourd’hui au sein d’une rédaction. Comment ils rendent compte d’un système défaillant et sclérosé, d’une opposition possible. Le pouvoir, on ne sait par quel bout le prendre, comment apporter des informations qui éclairent l’Algérie. C’est aussi un film sur le travail. 

Ce film, c’est un portrait de l’Algérie d’aujourd’hui?

Je n’irai pas jusque là, c’est un prisme pour rendre compte d’une Algérie qui réfléchit. Ma véritable intention c’est de dire, il n’y pas de révolution de la rue, il faut une révolution des idées. Tant que l’on n’a pas vécu notre vraie révolution, culturelle, sexuelle, et résolu nos problème vis à vis de la religion, de la tradition, du rapport à la modernité, tant que nous n’aurons pas fait une vraie révolution culturelle, nous resterons toujours tiraillé entre l’autoritarisme et l’idéologie islamiste. Mon intention de départ, c’était de dire le changement ça passe par des idées.

Propos recueillis par Christian Bidault

– Au cinéma Les Carmes à Orléans, horaireshttp://www.cinemalescarmes.com/horaires

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