Simon et son discours sur la montagne

Federico Luis, jeune réalisateur argentin, nous livre Simón de la montaña, un film abouti sur un personnage qui veut passer du côté des malades mentaux. Alors qu’on a généralement peur de la folie, Simon franchit la ligne volontairement et sans explication. Une grande claque aux réflexes dits normaux, un film puissant, cohérent, qui met profondément mal à l’aise.

Les jeunes handicapés paumés dans la Cordillère. Photo Arizona Distribution.



Par Bernard Cassat.


Federico Luis s’était déjà fait remarquer à Cannes en 2019 avec un court métrage, La Siesta. Son premier long métrage, passé lui aussi par Cannes l’an dernier, sort aujourd’hui sur les écrans, Simón de la montaña. Un film étrange, âpre, qui montre le passage volontaire, et même soigneusement travaillé, d’un jeune de 22 ans du côté des handicapés mentaux. Un franchissement en images de cette limite floue qui sépare les malades mentaux des autres. De Simon, de sa vie avant la première image du film, on ne saura rien. De son désir et des motivations à rester dans le groupe d’amis handicapés, on ne saura rien non plus.

Lorenzo Ferro joue la rôle de Simon. Photo Arizona Distribution.

Simon incarné par Lorenzo Ferro – Copyright Arizona Distribution


Il a envie de partager leur sort dans le centre où ils vivent. Pour avoir le droit d’y rester, il lui faut une carte de handicapé. Son ami Pehuén, qui lui est franchement handicapé, l’aide à se préparer, lui fait passer un faux test. Dans des conditions rocambolesques, au cours d’une sortie dans la montagne, Pehuén lui pose les questions que tous les psys posent pour délivrer la carte, des questions très bêtes. Un vent incroyable chargé de brouillard les fait se perdre dans ces montagnes inhospitalières, puis retrouver les autres membres du groupe autour d’une statue du Christ. Tout un jeu s’instaure, monter sur la statue pour trouver du réseau. On est vraiment chez les fous.

Toute la douleur de la folie sur le visage de Simon. Capture bande annonce.


C’est avec ce groupe que Simon va tenter de rester. Il les suit à la piscine, lieu où les corps se montrent et avec eux le désir. Il les observe dans leurs « jeux », notamment un, réglé par son amie trisomique, un baiser qui doit durer une minute pour être un vrai baiser. Il a plus tard l’occasion de se retrouver à la surveiller dans son lit. Dans une scène forte, il la désire, la caresse, mais en même temps n’ose pas aller plus loin. Sans doute à cause de sa différence, de leurs différences. Et elle lui dit que s’il en reste là, elle va le dénoncer comme simulateur. Tout est dans cette scène, l’attirance, l’étrangeté, l’ambiguïté des rapports, l’importance de cette relation, la position de chacun par rapport à la société normative. Ils sont du même côté et pourtant, pas tout à fait.

Les rapports avec sa mère et son beau-père sont aussi très difficiles. Elle le voit devenir malade, mais reste impuissante face à tous ses « jeux » auxquels elle ne comprend rien. Il porte un appareil pour sourd, non pas parce qu’il entend mal, mais pour modifier ses perceptions et l’aider à avoir l’air. Le son du film témoigne de cette altération.

Son ami Pehuén apprend à Simon comment faire l’idiot. Photo Arizona Distribution.


Car physiquement aussi, il montre de plus en plus de gestes de malade mental. Il hoche la tête, regarde profondément par en dessous, des attitudes qu’on voit chez les malades. Lorenzo Ferro qui incarne Simon est absolument époustouflant. Rôle difficile que de jouer justement tous ces tics et attitudes différentes. Il trouve la bonne distance entre normalité et maladie, et fait passer physiquement ce malaise que la société normale ressent auprès des handicapés.

Une Argentine pas très brillante. Capture bande annonce.


Car on est loin des films positifs qui regardent les handicapés mentaux avec bienveillance. Le propos de Luis n’est pas là. On est loin de films comme Un petit truc en plus d’Artus, ou La famille Bélier d’Eric Lartigau, ou encore Intouchables de Nakache et Toledano. On est plus près d’un Lars von Trier avec Les idiots. Mais Federico Luis avec Simon ne donne pas de clef. Il ne cherche ni à comprendre ses personnages, ni à faire passer à travers eux un message. Simon nous montre que la maladie mentale est un décalage, une différence plus qu’une maladie. Et qu’autour de la différence règne un profond malaise, toujours. Un malaise dans lequel les images nous plongent. Comme cette scène du début, perdue dans le vent, le froid et les hauteurs de la cordillère des Andes, dans un tourbillon de violence des éléments.

C’est puissant, inquiétant, perturbant. Une œuvre qui cherche et qui promet beaucoup pour l’avenir de son auteur. Au moment où l’Argentine est dirigée par un fou machiste et intolérant, le choix de Simon n’est pas innocent, et ce film non plus !


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