Aux Assises du journalisme de Tours, le procès des viols de Mazan bouscule les représentations

Le lundi 10 mars s’ouvrait la semaine des assises du journalisme à Tours. Pour cette 18e édition, le thème principal qui orchestrera tous les débats centraux de la semaine est celui du fait divers. Et pour ouvrir cette semaine spéciale, l’hôtel de ville de Tours a accueilli certains des acteurs et observateurs du procès des viols de Mazan.

Soirée d’ouverture des assises du journalisme à Tours autour du procès des viols de Mazan. ©A.B


Par Asmaa Bouamama.


Trois mois après le verdict du procès aux assises, le débat de cette soirée spéciale a réuni Marion Dubreuil, journaliste spécialisée dans les violences sexuelles, Pascale Robert-Diard, journaliste également et chroniqueuse judiciaire au Monde, Catherine Porter correspondante internationale pour le New York Times, et les deux avocats, Maitre Béatrice Zavarro, la défense de Dominique Pelicot et celle de Gisèle Pelicot, Maître Adrien Vecchio.

Fait divers ou fait de société ?

Évidemment la principale question est de savoir ce qu’il restera de ce procès des viols de Mazan, devenu un fait de société et peut-être même un fait d’histoire sociale et juridique. Pour l’avocate de Dominique Pelicot, la vraie exception de ce procès est qu’il s’est déroulé à ciel ouvert, le monde entier en est devenu spectateur. Les procès sont d’habitude à huis clos. Elle ajoute : « Ce procès a aussi montré une notion du viol assez méconnu ou qui détonne de l’idée du viol que l’on se fait, à savoir le viol avec violence et menace, il montre le viol par surprise, c’est le mérite de ce dossier ». Cette notion du viol, qui ne met pas en scène la violence telle qu’on se la représente avec ses avatars agressifs, n’est pas intégrée comme ayant les caractéristiques du viol, l’avocate se souvient que pendant ce procès, beaucoup d’hommes se défendaient d’avoir commis un viol en scandant qu’ils respectaient les femmes et que Gisèle Pelicot n’avait pas souffert.

Redéfinition du viol et de la violence

Marion Dubreuil cite ce procès comme le continuum d’un rapport de violence entre les hommes et les femmes, elle va plus loin dans les actes commis par les accusés et considère ces hommes dans la globalité de leurs positions vis-à-vis des femmes. L’un d’entre eux n’avait jamais payé la pension alimentaire à son ex-femme, un autre avait menacé sa compagne avec une hache, tandis qu’un autre se défendait de ses infidélités par l’argument qu’il trouvait sa femme trop grosse. Ces actes sont comme la continuité logique, et à la fois l’aboutissement paroxystique d’une série de violences de plus en plus graves et apparaissant à ces hommes comme de plus en plus banales, puisqu’elles ont le mérite de suivre une cohérence d’une posture de domination qui fait tout pour le rester. Et rendre cette domination définitivement irrévocable.

©A.B


La journaliste qui a assisté au procès confie qu’elle a été, durant ces longs mois, accompagnée par les ronflements de Gisèle Pelicot sur les vidéos que son mari filmait des viols qu’il organisait. Mais à d’autres éléments cruciaux que ces images montrent et qui trahissent la conscience des accusés, comme les précautions qu’ils prennent pour ne pas la réveiller, elle parle d’une couette toujours prête à être jetée sur Gisèle Pelicot si jamais elle s’éveille quelques secondes, ou bien la jambe inerte que l’on déplace calmement pour permettre un rapport sexuel, une bouche que l’on maintient ouverte délicatement… Des éléments sordides qui le sont d’autant plus que la délicate précaution s’amalgame à la violence, et court-circuitent l’entendement humain, jusqu’à sidérer l’affect et la morale humaine. Le paradoxe des propriétés qui ne vont normalement pas ensemble semble être la signature de la perversion.

Répercussions sociales et médiatiques

Ce procès semble défier beaucoup de coordonnées de la violence et des représentations du viol. Il fait exploser toutes les propriétés mêmes des classements médiatiques : s’agit-il d’un fait divers ou d’un fait de société ? Faut-il revoir la législation pour y inscrire une notion de consentement ? Autant de questions sans réponses évidentes que seules, peut-être, les décennies à venir nous diront. Comment considérer la responsabilité des hommes quand 6 Français sur 10 considèrent qu’il y a en France une culture du viol, et que 70% des Français pensent que les hommes ont une responsabilité dans la pérennité de cette culture ? Et qu’en est-il de la législation du viol et des agressions sexuelles quand 3 plaintes sur 4 sont classées sans suite, y compris des cas d’incestes très peu punis. Les agressions sexuelles et les viols ont des conséquences dévastatrices sur une vie, y a-t-il un déni de ce ravage psychologique et social, dans une société hypersexualisée ?

Enfin ce procès aura été le spectacle d’une incroyable solidarité mondiale envers Gisèle Pelicot qui, tous les soirs ou presque, sortait du tribunal au milieu d’une haie d’honneur, de femmes venues l’applaudir et la soutenir. Il apparaissait comme si ces femmes partageaient un secret et savaient depuis longtemps que ce déni ravage des vies. Cette notion de viol conjugal résonnait chez des femmes, ça n’était pas une histoire d’une jeune fille de 20 ans. Le procès des viols de Mazan semble avoir brisé toutes les représentations des violences, du couple, du viol, de la famille, de la couverture médiatique, et des rapports entre les hommes et les femmes, mais aussi de l’idée que l’on se fait du mal, du monstre. De « la banalité du mal » disait Hannah Arendt, ou la banalité de la perversion sous toutes ces formes.


Plus d’infos autrement :

La culture du viol : un fléau ancré dans notre société

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