Charles Fournier : « Le droit à l’alimentation n’est pas le droit de manger gratuitement »

Charles Fournier, député écologiste de Tours, défendra ce jeudi 20 février en fin de journée sa proposition de loi visant à mettre en place à titre expérimental, une nouvelle carte vitale afin de garantir à tous « une sécurité sociale alimentaire pour tous ». Rencontre.

Le député Charles Fournier à l'Assemblée nationale
Le député d’Indre-et-Loire Charles Fournier soutient la création d’une sécurité sociale alimentaire. Photo Zoé Cadiot



Propos recueillis par Zoé Cadiot.


Votre proposition de loi visant à instaurer à titre expérimental une sécurité sociale de l’Alimentation sera débattue jeudi à l’Assemblée. Êtes-vous optimiste sur la finalité du vote ?

Je sais qu’il y a des oppositions. Sur le banc du Rassemblement national, on est loin de faire l’unanimité. De même qu’à droite, ils ne sont pas tous emportés par notre projet même s’ils sont nombreux à partager nos constats. Aussi la semaine dernière, je ne m’attendais pas forcément à un vote favorable en commission des Affaires économiques. Cela s’est d’ailleurs joué à quelques voix. Le texte arrive donc jeudi dans l’hémicycle, enrichi d’un certain nombre d’amendements défendus par d’autres groupes. S’il était adopté par le palais Bourbon, il poursuivrait ensuite son chemin parlementaire au Sénat. De toute façon, quelle que soit l’issue du vote, c’est déjà une nouvelle victoire.

Pourquoi ?

Tout simplement par le fait que l’idée d’une sécurité sociale alimentaire pour tous chemine. Elle s’inscrit enfin dans le débat public et apparait de plus en plus comme une réponse crédible aux défis qui nous attendent. Que ce soit sur la question de la sécurité alimentaire, de la précarité alimentaire ou encore celle d’un revenu digne pour les agriculteurs. N’oublions pas en effet que dans notre pays, 5 millions de personnes ne mangent pas à leur faim, que 38 % des Français disent avoir eu recours un jour à l’aide alimentaire et qu’un agriculteur sur 5 vit sous le seuil de pauvreté.

Pourtant vous parlez de sécurité sociale de l’alimentation et non alimentaire…

En parlant d’alimentation, on englobe toute la chaine de la production jusqu’à l’arrivée de l’aliment dans notre assiette. Alimentaire, cela signifierait seulement d’avoir à manger. Les enjeux sont certes l’accessibilité à la nourriture mais aussi la production avec des produits qui répondent aux besoins nutritifs des humains, et la distribution en assurant un juste prix aux producteurs. Sans oublier, la santé. Car dans notre assiette, c’est la santé qui est en jeu.

D’où cette idée de sécurité sociale et de carte vitale alimentaire ?

La SSA s’appuie sur les principes de la sécurité sociale. La Sécu a été inventée pour protéger, pour nous protéger d’un certain nombre d’aléas de la vie, ou de situations de la vie pour lesquelles on a besoin d’être sécurisé. La maladie, la vieillesse, la maternité, la perte d’emploi. Aujourd’hui, l’alimentation est devenue un sujet de risques. Risque de ne pas manger, risque de ne pas savoir ce que l’on mange. Donc le principe de cette sécurité sociale est de couvrir ce risque.

La SSA n’est-elle pas une forme déguisée d’aide alimentaire ?

C’est justement ce qu’on veut éviter. L’idée est que petit à petit les gens puissent entrer dans ces caisses alimentaires pour reprendre la main et retrouver de la dignité sur ces questions-là. Le droit à l’alimentation n’est pas le droit de manger gratuitement. Le droit à l’alimentation c’est d’avoir de la nourriture accessible, avoir de la nourriture qui est correctement distribuée et dont la valeur nutritive répond aux besoins des humains.

Dans un contexte budgétaire tendu, nombre de vos détracteurs dénoncent le coût prohibitif de cette future sécurité sociale…

Il est amusant de noter qu’on nous oppose les mêmes arguments que ceux reçus par les pères fondateurs de la sécurité sociale. Si la proposition de loi prévoit bien une participation de l’État via la création d’un fonds national d’expérimentation, il vient en complément des cotisations et des aides des collectivités territoriales. Je rappelle aussi qu’on parle à terme d’un budget annuel de 162 millions d’euros pour une allocation universelle mensuelle de 150 euros. En phase d’expérimentation, avec une vingtaine de projets qui seront sélectionnés pour 5 ans, on part donc sur une enveloppe de 35 000 euros. Ce n’est rien sachant que le coût de la malbouffe en France, c’est 19 milliards d’euros par an. Pour la FAO (Organisation des Nations-Unis pour l’Alimentation et l’agriculture NDLR), c’est plus de 100 milliards. De nombreuses maladies chroniques sont en effet liées à une mauvaise alimentation. Le coût de l’obésité, le coût du diabète, le coût de la pollution sont autant d’argent qui pourraient être réorientés. Et parce que nous avons une situation financière compliquée, il nous faut trouver des réponses systémiques et durables. Débuter par une expérimentation signifie aussi que nous adoptons une approche progressive et réaliste qui permettra de mesurer les coûts réels et les bénéfices sociaux, sanitaires et économiques d’un tel projet.

Comment va fonctionner cette sécurité sociale de l’alimentation expérimentale ?

Via un réseau de caisses locales de l’alimentation, qui auront été sélectionnées par le fonds national d’expérimentation, administré par un conseil d’administration représentatif de tous les acteurs de la production agricole et de l’alimentation. Des expérimentations existent déjà comme à Montpellier, Bordeaux ou Cadenet dans le Vaucluse. Et d’autres sont en cours comme à Tours, où plusieurs acteurs comme la ville, la Confédération paysanne, le centre socioculturel Courteline soutiennent le projet. À elles donc de porter les actions, de gérer les allocations, de fixer la liste des entités et des produits conventionnés. La proposition de loi vise à accompagner toutes ces expérimentations et non à les contraindre, afin de ne pas déposséder les citoyens et les acteurs qui se sont engagés.

Produits conventionnés. Est-ce à dire qu’il y aura comme pour la sécu, un barème de remboursements ?

Effectivement. Ce sont les principes de la sécurité sociale quand elle est née. Il y avait des caisses locales qui décidaient de cela. On est dans la même conception mais remis sur le sujet de l’alimentation. Universalité, solidarité et conventionnement démocratique sont les trois principes généraux qui sont inscrits dans la loi.

Comment vous êtes-vous emparé de cette question ?

Au lendemain de mon élection, en 2022, j’ai mis en place un parlement dans ma circonscription. Après avoir travaillé sur la question de l’alimentation, un groupe d’habitants m’a demandé de m’emparer de ce sujet. Surtout après avoir découvert les travaux du collectif national pour la sécurité sociale de l’alimentation, créé en 2019. Il réunit plein d’acteurs comme les Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural, le réseau salariat agricole, la Confédération paysanne. Je leur rends hommage car leur idée est très belle. De là, je me suis dit pour avancer, il nous faut une loi d’expérimentation, un peu sur le principe de la loi « Territoires zéro chômeur longue durée » qui est doté d’un fonds national pour soutenir les expériences « Territoires et zéro chômeur de longue durée ».

Dans les partenaires annoncés, il y a beaucoup d’agriculteurs dont ceux de la Confédération paysanne. L’avancée significative de la Coordination rurale lors des dernières élections aux chambres d’Agriculture, notamment en Indre-et-Loire ne risque-t-il pas de modifier le plan de financement ?

Il faut regarder aussi la répartition des votes. Car si la Coordination rurale a effectivement remporté l’élection en Indre-et-Loire, la Confédération paysanne a multiplié par deux son nombre de sièges. Ceux qui perdent vraiment, c’est la FNSEA. Et pour la Coordination rurale, s’il est vrai que nous ne sommes pas d’accord sur un certain nombre de points, sur la question des circuits courts, sur la question des revenus, je pense qu’elle peut s’intéresser à ces dispositifs. Aussi, je n’ai pas d’a priori pour essayer de travailler sur ces questions avec elle. Il est évident que tout cela ne peut se faire sans les agriculteurs.


Plus d’infos autrement : 
L’aide alimentaire en question

Commentaires

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  1. De la politique accrochée au réel et non pas aux idéologies mortifères !!!
    De l’écologie politique au sens noble du terme .
    Nous verrons qui y fera obstacle …

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