« Le Mohican » de Frédéric Farrucci sera-t-il le dernier ?

Avec de très belles images d’une Corse profonde, Frédéric Farrucci nous raconte l’histoire d’un homme qui n’accepte pas de disparaître sous les coups de maffias immobilières. Venu présenter son film en avant-première le 23 janvier, Magcentre l’a rencontré.

Corse du sud. Capture bande annonce




Propos recueillis par Bernard Cassat.



Le film part-il d’un fait réel ?

D’abord une rencontre avec un berger du littoral de l’extrême sud de la Corse. J’avais fait un docu sur cet homme. Il ne cessait de dire qu’il était devenu une anomalie dans le paysage, il se voyait mal transmettre l’exploitation à ses fils parce qu’il jugeait que ce serait un cadeau empoisonné, et même dangereux. Mais tout le film prend sa source dans un réel contemporain de la Corse, c’est une constellation de faits qui se sont déroulés au cours des 20 dernières années. Pas un fait précis, mais des faits. Le départ du film, c’était vraiment un désir d’aborder un état du territoire.

Où les projets immobiliers continuent à être hors la loi ?

Oui, mais c’est bien organisé. Les instances officielles ne font rien. C’est toujours pareil, la loi, elle est très simple à comprendre : si l’État a envie de faire son travail, il fait respecter la loi. Il fait en sorte que les décisions soient appliquées.

La nièce du Mohican lui dit à un moment d’aller voir la police. Il lui répond « non, sérieux ? » Ça veut dire quoi de la société corse ?

Ça indique une situation assez complexe par rapport à l’imprégnation du crime organisé. S’il n’y avait aucune dérogation à la loi, aucune possibilité de rentrer dans une brèche, les organisations criminelles ne pourraient pas agir comme elles le font. Si on a envie de faire les choses, on les fait. C’est très complexe, aussi, le fait que ces organisations touchent toutes les couches de la société. Elles sont partout. Se rendre à la police, qu’est-ce que ça veut dire ? Se retrouver en prison, peut-être, en présence d’individus dangereux.

Le quotidien. Capture bande annonce


Coté western du film. Où est la loi ? Est-ce qu’il y a un maintien de l’ordre ?

Pas suffisamment fort. Manque de moyens, de volonté, je ne sais pas. C’est pour ça qu’il y a notamment des collectifs citoyens anti-mafia qui se sont constitués en Corse ces dernières années. Il y a eu, même, des écoutes de la police enregistrant les maffieux. Ils se disaient entre eux, ce n’est pas bon ça, si ça continue à faire du bruit, la police va être obligée de faire ce qu’elle a à faire. C’est assez fou !

Deux films sur la Corse, « A son image » côté indépendantiste, et « Le royaume » côté mafia, sont sortis récemment. Le vôtre serait peut-être un mélange des deux ?

Je voulais brosser un tableau de la Corse contemporaine, de cette tension qui est à la base ultralibérale, pas forcément mafieuse. C’est vieux comme le monde, un désir de faire en sorte que les côtes corses ressemblent à toutes les autres, d’implanter des villas de luxe, des hôtels, continuer le développement du tourisme par manque d’imagination. Et c’est l’attrait de l’argent à court terme. Le constat est plus là-dessus : la douleur d’une diversité qui se perd, donc d’une population aussi qui disparaît, avec en plus une problématique environnementale catastrophique. Une population intrinsèquement liée à un territoire s’en trouve chassée ou menacée pour des motifs liés à l’argent. Le constat part de là. La présence d’organisations criminelles, c’est une conséquence de ça. On sait que la mafia est le fer de lance du capitalisme. Ça se passe partout.

Vous avez choisi de montrer le combat d’un solitaire face à toutes ces questions ?

Oui, je voulais une figure de résistance, d’un homme qui dit non parce que la proposition qu’on lui fait signifierait la fin de son monde, donc de lui-même. Et ce qui m’intéressait, c’est qu’il y ait une double résistance. Il dit non mais n’explique jamais sa position, il ne cherche pas à agréger du monde autour de lui. Face à une situation, il réagit à sa façon. Sa nièce donne un contenu politique à ce non, et essaye par les moyens des réseaux sociaux de donner une dimension collective à ce combat individuel.

Animalité. Capture bande annonce


Et qui n’est pas forcément politique, au sens propre.

C’est éminemment politique par rapport à la question de savoir ce qu’on fait de notre monde. C’est en ça que pour moi le film est profondément politique. Il raconte un territoire, les gens qui vivent dessus. Mais ce qui m’a poussé à y aller, c’est ça. Les motifs sont politiques. À partir de ma rencontre avec un homme réel, et de la décision d’extrapoler sa situation en lui faisant dire non, le film est une série de « et si ». Les conséquences de ce non. J’imagine sa fuite vers l’intérieur, le retour aux sources, à l’animalité, à la minéralité.

Deuxième personnage « réel », le vétérinaire ?

Oui, le véto est très important pour moi. J’avais fait un docu sur lui. Personnage assez extraordinaire, Marc. Je voulais inscrire le film dans le réel via ses interprètes. J’avais très envie qu’ils jouent leur quotidien, ce quotidien qui est troublé par l’arrivée du fugitif. Ça me plaisait beaucoup d’arriver sur du quotidien à travers ces interprètes et ces situations, par rapport au western qui usuellement n’évoque que de l’extraordinaire.


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