Ils et elles sont cinq, sorties il y a une dizaine d’années du Conservatoire d’Orléans, ont formé le collectif « Mind The Gap » et sont invitées dans les structures du théâtre public de la région Centre-Val de Loire. Leur création, « Pour que l’année soit bonne et la terre fertile ». C’est au CDN d’Orléans.
Par Bernard Thinat.
« Mind the gap » qui peut se traduire par « Attention à l’écart » est donc une joyeuse bande de jeunes artistes réunis dans la capitale régionale, afin de faire théâtre.
Et d’entrée de jeu, le public a droit à un écart glissant, puisque nos cinq artistes nous annoncent que le spectacle n’aura pas lieu. Et d’inventer des raisons qui n’en sont pas, et des idées, ils en ont à foison, entre la maladie de l’un ou la présence de punaises de lit dans le théâtre. Mais aucune excuse à ne rien faire ne résiste à l’analyse. De fil en aiguille, on nous raconte avoir acheté en Chine des costumes. Sauf qu’ils sont lourds, qu’on étouffe à l’interne. Alors, on songe à les laisser dehors… Et voilà des bouts de laine qui apparaissent dans les cheveux de l’une, traversant le plateau de cour à jardin avant qu’une espèce de reptile laineux ne sorte d’on ne sait où.

Photo Collectif Mind the gap – crédits costumes Karine Marques Ferreira
On ne va pas en dire plus, que le lecteur sache que la suite est assurément impressionnante, tout à fait inattendue et d’une beauté incroyable. Longue ovation lors des saluts au public !
De forme légère, le spectacle du Collectif « Mind the gap » prend le public à rebrousse-poil, une (très ou trop) longue introduction pour faire part des affres d’un collectif d’actrices et acteurs devant la page blanche d’un spectacle, comme un écrivain qui ne parvient pas à débuter son roman. Puis par un habile retournement, le public est pris au jeu du groupe des cinq, guette l’humour versé à petites doses et glisse doucement vers la seconde partie du spectacle, celle dont on ne parlera pas. Joli !
Ceci étant, faut-il voir dans ces êtres recouverts de poils, de plumes, de laine, une métaphore écologique en lien avec le titre du spectacle évoquant la terre fertile et une bonne année ? À chacun son opinion.
Spectacle créé début novembre 2024 à l’Équinoxe de Châteauroux, puis présenté le même mois au théâtre Olympia de Tours (CDNT), à la Halle aux Grains de Blois en décembre, et du 14 au 17 janvier 2025 au Centre Dramatique d’Orléans. À Dijon en mai.
Durée 1 heure
Mise en scène et interprétation : Solenn Louër, Julia De Reyke, Anthony Lozano, Coline Pilet et Thomas Cabel
Lors des saluts, de gauche à droite : Thomas Cabel, Solenn Louër, Anthony Lozano, Julia de Reyke et Coline Pilet. Photo B.T.
Rencontre avec les artistes
Ils se sont connus au Conservatoire d’Orléans. Comme Coline Pilet avait monté un projet dans lequel toutes et tous jouaient, cela leur a donné l’idée de continuer à la sortie du Conservatoire et tenter l’aventure du Collectif. C’était en 2013.
Leur première création fut au théâtre de la Tête Noire, en 2015, « Tonnerre dans un ciel sans nuage », puis succéda « le Mariage » de Gombrowicz, « J’aurai mieux fait d’utiliser une hache » en 2021 dans une sorte de polar à partir de la thématique de l’horreur, enfin « Pour que l’année soit bonne et la terre fertile » en 2024, toujours en écriture de plateau. Un prochain spectacle jeune public sera créé en mars prochain, « J’étais partie, pardon (dans un autre univers) » qui parle des univers parallèles, spectacle probablement en Avignon cet été.
Le Collectif a été dès le début de son existence, soutenu par la DRAC, la région Centre, et la ville d’Orléans. Et progressivement avec des partenariats, le Théâtre de la Tête Noire à Saran, Équinoxe à Châteauroux, et les deux CDN de Tours et Orléans.
Magcentre : Parlons de votre spectacle. Le titre vous est venu au hasard, ou y aurait-il une sorte de métaphore écologique ?
Les artistes : On trouve le titre très tôt, et c’est lui qui va nous faire rêver pendant toute la création. Ce titre vient de la typologie de nos costumes dont on s’inspire. On a trouvé ce morceau de phrase très beau. On a baptisé notre spectacle ainsi avant même de l’avoir créé. La dimension écologique a existé au départ, mais on s’en est éloigné pour créer une autre histoire à partir de ces costumes. Un des aspects de la thématique écologique est la question du lien qui unit le groupe.
Les costumes vous ont servi de point de départ du spectacle et vous vous êtes posés la question de savoir ce que vous alliez en faire, dîtes-vous.
Oui, on a pris à rebours le processus. L’enjeu a consisté à savoir ce qu’on allait faire de ces costumes qui nous ont posé un tas de questions, la technique pour les porter, leur symbolique… On a longtemps cherché comment faire apparaître ces créatures sur le plateau, comment retarder leur apparition, comment les faire exister dans l’imaginaire du public. Même si c’est faussé avec les photos dans les médias.
Vous avez choisi finalement de commencer en annonçant que le spectacle n’aurait pas lieu. Vous pouvez expliquer ?
Travailler sur l’attente nous plaisait beaucoup, on avait une sorte d’intuition que cela devait débuter ainsi, et dans notre processus de création, on a imaginé vivre notre pire cauchemar de manière réelle en disant qu’on n’avait pas de spectacle. Comme nous ne voulions pas présenter ces créatures dans un monde fictionnel, un peu animales ou magiques, nous avons pensé nous présenter d’abord sur le plateau en tant qu’interprètes qui allions enfiler ces costumes. Ensuite, le spectateur est libre de penser que nous ne sommes plus à l’intérieur des costumes, mais on ne peut pas ne pas le savoir. Cela rejoint la fonction rituelle du théâtre telle qu’elle existe pour nous.
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