19 décembre 1964. La République gaullienne « entre ici », au Panthéon

Trois fois vingt ans après, que reste-t-il dans nos mémoires de la cérémonie d’entrée au Panthéon du « préfet de la Résistance » ? En quoi Jean Moulin est-il d’actualité en cette fin de 2024 où agonise le « fait majoritaire » et l’autorité présidentielle ?




Par Pierre Allorant*


Un cérémonial recouvert par le verbe de Malraux, une mémoire relancée par l’onction présidentielle

Dans un froid sibérien, avec pour statue du commandeur un général de Gaulle immobile et muet, le discours inspiré du ministre de la Culture, compagnon d’armes de Jean Moulin tant dans l’aide à la République espagnole que dans la Résistance, occupe tout l’espace mémoriel, immortalisé par les archives de l’INA au point que les simples mots « Entre ici » sont, pour nos contemporains, irrémédiablement associés tant au Panthéon qu’au portrait au chapeau et à l’écharpe de « l’homme qui n’a pas parlé ».

Pour paraphraser et fusionner Malraux romancier en ses deux titres majeurs, c’est l’espoir d’une condition humaine – « à l’échelle humaine » écrit Léon Blum – qui est porté par le Conseil National de la Résistance que Jean Moulin a contribué à créer, avec son programme social, économique et éducatif généreux et solidaire, annonce de « jours heureux ». Mais la mémoire du héros du 17 juin 1940 n’a pas attendu 1964 pour se déployer. Dès la Libération, sa ville natale de Béziers, les villes marquées par son action de préfet et particulièrement Chartres, son successeur à la tête du CNR, Georges Bidault, devenu chef du gouvernement, les ministres et le corps préfectoral lui-même ont multiplié hommages et cérémonies de dévoilement de plaques et de monument tel le « glaive brisé ». Le pouvoir gaulliste ne fait que prendre le relais et saisir au bond l’initiative d’élus départementaux de l’Hérault, à un moment de renforcement de l’autorité préfectorale, bras armé de l’exécutif en province, et de captation de l’héritage de la Résistance au service de l’homme du 18 juin revenu au sommet de l’État. Ce choix d’un préfet et de l’organisateur de l’unification au service de la France libre est tout sauf un hasard. Il vient confirmer la place exceptionnelle du plus jeune préfet de France dans la galerie des compagnons de la Libération : seul à bénéficier, à titre posthume, d’une préface de la main du général, à son magnifique témoignage de Premier combat, publié aux éditions de Minuit par sa sœur Laure ; seul à avoir droit à un passage aussi chaleureux et élogieux au sein des Mémoires de guerre, dans « L’effort », et de cette formule qui aurait dû conjurer toute polémique délétère et la fable du « cryptocommuniste » : « Je savais qui il était ».

Une incarnation diversifiée : entre ici, toute la Résistance, dans toutes ses formes

Il y a 60 ans, l’entrée au Panthéon de Jean Moulin sort le monument aux grands hommes d’une indifférence à peine interrompue sous la Quatrième République par l’entrée de Louis Braille. Se substituant à l’onction parlementaire, c’est le chef de l’État qui désigne son lieutenant et délégué personnel des années sombres et relance ainsi les grands élans commémoratifs républicains de « la plus longue des Républiques » parlementaires, qui avait consacré Hugo en 1889, Zola en 1908, Jaurès en 1924, il y a un siècle.
Depuis 1964, le Panthéon a de nouveau connu des phases de délaissement sous Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, et un regain prononcé depuis le 10 mai 1981 et l’hommage mitterrandien rendu à Schoelcher, Jaurès et Jean Moulin. Les « grands hommes » de la République ont enfin fait une place, encore trop minoritaire, aux femmes d’exception, de Simone Veil à Joséphine Baker. Quant à la Résistance, au souvenir monopolisé par Jean Moulin jusqu’en 2015, les entrées successives des quatre panthéonisés, à parité, de François Hollande – Geneviève Anthonioz-de Gaulle, Germaine Tillion, Pierre Brossolette et Jean Zay – puis Joséphine Baker et les Manouchian, enfin l’annonce de la prochaine entrée de l’historien Marc Bloch, ont profondément modifié l’image du Résistant, loin des seuls mouvements, maquis ou de La bataille du rail de René Clément.

Jean Moulin, notre contemporain

Comme l’a relevé l’académicien Pascal Ory le 17 juin 2023 à Chartres, Jean Moulin est pleinement notre contemporain, par son triple refus fondateur du racisme, de l’antisémitisme et de l’homophobie du nazisme, ces trois haines coagulées dans l’exigence de l’occupant de faire accepter par un haut-fonctionnaire républicain l’ignominie de transférer la responsabilité de crimes de guerre aux courageux tirailleurs sénégalais et aux ordres du « juif » Mandel, ministre de l’Intérieur hostile à l’armistice, inspirateur du départ du général de Gaulle à Londres.

Si Mandel était bien « l’homme qu’on attendait » selon la belle formule de Jean-Noël Jeanneney, l’homme ou la femme qu’attend la France de 2024 n’est plus un homme providentiel, mais celle ou celui qui éclairera le chemin d’une réconciliation de la France républicaine avec elle-même, les valeurs de son triptyque, l’ambition universelle de son message de solidarité et d’égalité. Très loin des passions tristes du repli sur soi, très près de l’élan ressenti cet été lors de la fête de l’olympisme, entre accueil du monde entier et fierté de réaliser de grandes choses ensemble. Le message porté par le préfet d’Eure-et-Loir dans sa préparation des 150 ans de la Révolution française en 1939. Les valeurs qu’il a incarnées, du 17 juin 1940 au 8 juillet 1943. Au prix de sa vie, au nom de l’amour de la vie.

*Pierre Allorant, Professeur des universités, est Président du Comité d’histoire parlementaire et politique, Président des Amis de Jean Zay et membre du Comité d’histoire préfectorale de l’Institut des Hautes études du ministère de l’Intérieur. Il vient de publier chez Calype, « Destins », Jean Moulin. Le préfet de la Résistance et Jean Zay. Jeunesse de la République chez Bouquins (avec Olivier Loubes).


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