L’ancien sénateur du Loiret publie « Une journée singulière ». Dans ce récit romanesque de politique fiction, il se glisse avec malice dans la peau d’un Secrétaire général de préfecture. Et livre au passage un regard acerbe sur les ratés de la décentralisation, Chantier devenu perpétuel.
L’ancien Président François Hollande avec Jean-Pierre Sueur lors d’une signature.
Par Zoé Cadiot.
Au moment de tourner la page d’une longue carrière politique, quarante-deux ans de vie élective qui le menèrent des bancs municipaux aux ors de la République, l’ancien parlementaire orléanais Jean-Pierre Sueur s’avance sur la scène littéraire. Non avec un essai sur Victor Hugo ou Charles Péguy comme il l’a fait par le passé mais avec un récit singulier, loin des stéréotypes attendus. Tant l’auteur, ancien élève de Normale sup, agrégé de Lettres modernes, s’amuse des codes pour signer ce récit. Une espèce de politique fiction, plus réelle que nature avec ces zestes de « Mémoires d’outre-tombe ». Il faut dire que pour donner chair à ses personnages d’« Une journée singulière », l’ancien secrétaire d’État de François Mitterrand aux collectivités locales, s’est appuyé sur ses propres souvenirs. Souvenirs parfois cocasses comme cet anniversaire de mariage perturbé par les doléances fiscales d’un restaurateur relayés notamment par le héros de cette histoire, un secrétaire général de préfecture zélé en 2003. Soit vingt ans après les premières lois de la décentralisation.
Ni courtisan, ni indifférent
Dis comme ça, on pourrait être tenté de refermer le livre avant même de l’avoir ouvert. Mais n’en faites rien car en suivant toute la journée, ce haut fonctionnaire dont on ne connait ni le nom, ni l’âge, ni l’affectation, ni même la couleur politique, même si on devine son attrait pour une gauche sociale et des sensibilités européennes qui sont communes à Jean-Pierre Sueur, on découvre les arcanes d’un pouvoir à la croisée de chemins, portée par un mouvement préfectoral. L’alternance est en effet attendue dans cette préfecture, qui pourrait être celle du Loiret. Ce chassé-croisé important pour la vie politique locale reste néanmoins ordinaire comme l’explique notre narrateur. Tant que « le préfet ne saurait être un courtisan, ni un indifférent », pointe ainsi le numéro deux de la préfecture dont le rôle institué par l’ordonnance du 1er mai 1820, a considérablement évolué. Surtout avec les premières lois de décentralisation, portées par Gaston Defferre en 1982.
« Périr ou signer »
En cette journée de novembre 2003, à quelques heures de la passation de pouvoirs entre le nouveau et l’ancien préfet qui lui part à la retraite après avoir servi une vingtaine de gouvernements, notre Secrétaire général de préfecture s’active. Et en ce début de journée, les premiers parafes sont déjà apposés tant la formule « périr ou signer » pourrait être la devise de ces hauts fonctionnaires. Les allées et venues s’accélèrent. Et d’une réunion à l’autre, sous la plume mutine de l’auteur la complexité étatique nourrie par nombre de réformes s’affiche. Force de constater que même les plus expérimentés, à l’image de notre héros et de ses compagnons d’aventure, se perdent dans le fonctionnement de nos institutions, malmenées par cette inflation de lois, d’arrêtés et autres règlements, souvent contradictoires. Au point que notre Secrétaire général, dont les pouvoirs se sont étiolés avec la décentralisation et la nouvelle répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, garde « comme tous les Français, la nostalgie de ces temps où l’on distinguait parfaitement ce que relevait de l’État et ce qui n’en relevait pas ».
Démocratie molle
Sous l’œil averti de cette vigie républicaine qui « aimait son métier », la décentralisation prend souvent des allures de maelström où tout se perd, tout disparait. Même les meilleures intentions, songe secrètement notre représentant de l’État, qui enchaine les rendez-vous à la finalité généralement aléatoire. Au point de se désoler de cette inertie qui ne dit pas son nom, incarnée par « la gangue des réunions préalables, des concertations préjudicielles et des procédures dilatoires ». Bercé par la routine, par les échanges plus ou moins feutrés de ses interlocuteurs, l’homme se permet quelques digressions. Son esprit vagabonde mais un vol improbable dans la préfecture ne lui laisse guère de répit. Un événement qui vient s’ajouter à d’autres imprévus et rebondissements. Néanmoins, il ne s’interdit pas de nouvelles rêveries. S’interroge sur ses visiteurs, ces hommes et ces femmes, ces « fantassins des collectivités locales, véritables sentinelles de la démocratie » dont l’action est souvent malmenée par une dilution des pouvoirs. Au point, pense-t-il, de parler de « démocratie molle ».
Rêve ou réalité
La formule est lâchée par le secrétaire général qui, face à un devoir de réserve, tait son audace. À moins que cela ne soit qu’un songe. Tout comme cette histoire. Pourtant, il en est convaincu : « La décentralisation qui devait être la séparation des pouvoirs, est devenue la dilution des pouvoirs, la confusion des pouvoirs ». Incontestablement on a perdu l’esprit des lois de Montesquieu. Et avec semble-t-il un certain bon sens.
« Une journée singulière, Autopsie politique »,
éditions Odile Jacob, 196 pages, 19,90 €