Les visages oubliés de l’esclavage dévoilés au château de Blois

L’exposition « Visages d’ancêtres. Retour à l’île Maurice pour la collection Froberville » constitue un témoignage exceptionnel de l’histoire de l’esclavage. Contextualisée grâce à des documents inédits, elle interroge sur notre passé.

Les bustes ont été réalisés par l’ethnologue blésois Eugène de Froberville entre 1845 et 1847. Crédit Deepha Photographie – Ville de Blois



Par Jean-Luc Vezon.


C’est une remarquable exposition qui s’achève au château de Blois le 1ᵉʳ décembre. Réalisée en partenariat avec le Musée de l’esclavage intercontinental de Port-Louis à l’île Maurice et la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, elle présente 14 masques(1) redonnant des visages et des noms à des anciens captifs français et mauriciens, déportés de l’Afrique orientale à l’île Maurice. Les recherches historiques récentes ont en effet permis d’identifier les bustes et de retracer en partie les trajectoires de vie des esclaves dont les visages ont été moulés.

Depuis 1940, le Château royal de Blois conservait dans ses réserves un ensemble de 53 bustes moulés sur d’anciens captifs africains qui ont été pour la plupart mis en esclavage à l’île Maurice. Cette collection a été rassemblée dans cette île en 1846 par Eugène de Froberville dans le cadre d’une « enquête ethnologique » sur l’Afrique orientale.

« L’ambition de cette exposition est de donner la voix aux individus moulés, pour donner une nouvelle lecture de ces bustes, libérée de la « science des races » et des préjugés et, au contraire, axer sur la culture, l’expérience et le récit de chacun », souligne Klara Boyer-Rossol historienne et commissaire scientifique qui a travaillé pendant six ans pour reconstituer l’histoire des captifs. Elle a ainsi retracé les identités de 56 personnes dont les visages ont été moulés et retrouvés leurs descendants.

Une exposition mémorielle

« C’est une démarche scientifique à l’envers de celle d’Eugène de Froberville qui les considérait comme les tenants d’identités collectives racialisées. Je les considère comme des individus qui ont une histoire et je propose d’en faire le récit », précise Klara Boyer-Rossol. Cette exposition est donc à la fois un projet culturel et patrimonial, mais plus largement un événement mémoriel, ancré dans les questions sociales contemporaines. La visite permet ainsi de suivre un parcours immersif, entre les bustes récemment restaurés et les récits de vie rapportés.

On sait qu’Eugène de Froberville avait mené une enquête auprès de plus de 350 esclaves ou anciens esclaves à La Réunion et l’île Maurice, entre 1845 et 1847, et recueilli auprès d’eux une immensité de savoirs linguistiques, ethnologiques, géographiques, musicaux et culturels. Il avait notamment moulé les bustes de 53 personnes – dont une femme – « exploités pour travailler dans les champs de canne à sucre ». Destinée à rejoindre le Muséum national d’histoire naturelle à Paris, Eugène de Froberville, qui vivait près de Blois l’avait finalement conservée tout au long de sa vie, avant qu’elle ne soit vendue au Muséum d’histoire naturelle de Blois en 1934.

« L’exposition porte un regard neuf sur cette collection et permet de comprendre l’esclavage et la traite dans l’océan Indien. Ce regard anthropologique est important pour les descendants des anciens captifs », s’était félicité le maire de Blois, Marc Gricourt, lors de son vernissage.


(1) Issu d’un ensemble de 53 bustes et 62 visages, moulés en plâtre.



L’historienne et chercheuse Klara Boyer-Rossol a assuré le commissariat scientifique de l’exposition. Crédit photo Claire Jaillard.

 

Collaboration de nombreux partenaires

L’exposition est organisée pour la Ville de Blois, par les équipes et la conservation du Château royal. Klara Boyer-Rossol, historienne, chercheuse, membre du Centre international de recherches sur les esclavages et post-esclavages (CIRESC), a pris en charge le commissariat scientifique.

Plusieurs partenaires ont apporté leur collaboration scientifique : Centre International de Recherches sur les Esclavages et Post-Esclavages (CIRESC), Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM), Mémorial pour l’abolition de l’esclavage (Nantes), Musée d’Aquitaine (Bordeaux), Musée de l’Homme (Paris) et Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME) pour le volet pédagogique et de médiation.

Elle a reçu le soutien financier de la DRAC, de la région Centre-Val de Loire, du département de Loir-et-Cher et de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. La présentation à Blois est enfin l’étape préalable au départ de la collection Froberville vers l’île Maurice, où elle sera dès 2025 mise en dépôt au musée intercontinental de l’esclavage de Port-Louis. Ce sera la première fois qu’une collection de bustes retourne dans un pays africain. 

« On rend l’humanité à ces personnes et on rend leur mémoire, leurs savoirs et leurs histoires au pays où leurs descendants ont grandi », conclut Pierre-Yves Bocquet, directeur adjoint de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage.


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