Des expos pour un voyage parisien en étrangeté #1

En cette fin d’année Magcentre vous emmène visiter quelques expositions parisiennes dépaysantes: des fous vus par les artistes de la fin du Moyen âge, à la bombe atomique, autre folie majeure de l’humanité, aux zombis d’Haïti, en passant par les sculptures de l’artiste Barbara Chase-Riboud disséminés dans huit musées parisiens. Voyage en étrangeté.



Par Bénédicte de Valicourt.


« Figures du fou »

Bosch Jérôme (dit), Aeken Hieronymus van (vers 1450-1516) (d’après). Lille, Palais des Beaux-Arts. P 816.


Hasard des calendriers ? À l’heure où les États-Unis élisent celui que l’on pourrait aisément ranger dans la catégorie des figures plus que troubles, le Louvre nous emmène dans un voyage délirant au cœur de l’imaginaire médiéval du XIIIe au XVIe siècle. Une époque de ruptures, finalement pas si éloignée de la nôtre. On y découvre à travers quelque 300 œuvres (peintures, sculptures, vitraux, enluminures, objets d’art…) que les fous, ou tout au moins leur représentation, sont partout dans l’espace artistique de cette époque. Aussi bien dans les romans de chevalerie, que les carnavals ou à la cour du roi, où ils disent souvent tout haut ce que d’aucuns pensent tout bas. Certains dont Triboulet, le bouffon de René d’Anjou, à qui nous devons l’expression « Revenons à nos moutons » sont même passés à la postérité.

Maître de 1537, Portrait de fou regardant à travers ses doigts ©Anvers, The Phoebus Foundation – Copie


Car, comme le laisse fort bien entendre cette exposition, n’est pas forcément fou celui qu’on croit. Il suffit d’admirer La Nef des fous (vers 1500) de Jérôme Bosch pour s’en convaincre. Visiblement la déraison règne partout sur le navire, sauf à droite du tableau chez le fou. Reconnaissable à son bonnet à clochettes et à sa marotte, celui-ci tourne le dos à la scène et boit son vin, assis tranquillement dans un arbre… Ainsi vont la vie et l’exposition, qui dessine au fil des salles un portrait complexe et multiforme du fou. On chemine dans les méandres de la relation entre le fou et Dieu, puis on approche la folie amoureuse, celle encouragée à la cour royale, celle des fous en ville, pour aller enfin, avec l’avènement des temps modernes, vers les premières tentatives de traitement des aliénés, jusqu’aux débuts de la psychiatrie.

Capable du meilleur comme du pire, le fou est tour à tour celui qui divertit, met en garde, dénonce, inverse les valeurs, voire renverse l’ordre établi. Ainsi dans le théâtre religieux médiéval, le mendiant devient roi d’un jour et l’enfant de chœur évêque. Alors que dans les charivaris, les fêtes des fous ou les carnavals qui précèdent le carême, c’est toute la population qui devient folle et se livre à ses passions. Un jeu de défouloir contrôlé où l’on moque les puissants, on mange et surtout on boit beaucoup, sans parler des autres excès. Ce jusqu’au XVIe siècle où le fou devient symbole des désordres du monde, avant de disparaître avec le triomphe de la raison et des Lumières. Mais il n’a évidemment pas dit son dernier mot. Et ressurgit à la fin du XVIIIe siècle et pendant tout le XIXe siècle. Mais à cette époque-là, la figure du fou a changé de camp et ce sont les artistes qui s’y identifient.

« Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques ».
Jusqu’au 3 février, hall Napoléon, musée du Louvre.

Et aussi : La Nuit des fous le 17 janvier de 15h30 à 23h. À la manière d’un charivari moderne, des artistes de tous horizons investissent les espaces du musée pour entraîner le public dans un carnaval contemporain entre danse, musique et performances. Réservation sur www.louvre.fr

Image de Une : D’après Jean de Gourmont, O caput elleboro dignum, Paris ©Bibliothèque nationale de France


« Quand un Nœud est Dénoué, Un Dieu est Libéré »

Barbara Chase Riboud Maos organ aware women artists artistes femmes


Pourquoi ne pas profiter de l’exposition de l’œuvre de la sculptrice, dessinatrice et poétesse Barbara Chase-Riboud dans huit musées parisiens pour visiter au passage les expositions temporaires tout en faisant connaissance avec cette artiste afro-américaine multiforme de 85 ans ? Une approche qui va nécessiter plusieurs jours mais le jeu en vaut la chandelle. On débute par exemple au musée national des arts asiatiques-Guimet, où la sculpture monumentale Mao’s Organ trône à côté d’une série de photographies du grand photographe Marc Riboud, son ex-mari, dont le fonds est déposé au musée Guimet. L’œuvre a été créée en 2007 après le dernier voyage en Chine de cette artiste engagée, première femme et artiste vivante à avoir une exposition individuelle au Metropolitan Museum of Art de New-York. À côté des sceaux chinois de sa collection personnelle, acquis lors de son premier voyage en Chine en 1965 avec Marc Riboud et dont elle dit que ce fut un moment fondateur de sa pratique.

Mrac Barbara Chase Riboud @Riboud 8


Au passage on va aussi voir la formidable exposition sur l’or des Mings, une dynastie de la Chine impériale (XIVe XVIIe siècle) et celle sur les trésors du Kazakhstan. Puis, on peut se rendre au Salon de l’horloge du musée d’Orsay (jusqu’au 15 décembre), où cinq sculptures d’aluminium et de soie interrogent les questions du temps et de la féminité, chères à Barbara Chase-Riboud. On poursuivra au Centre Pompidou et au musée du Quai Branly (jusqu’au 13 janvier) où une sculpture monumentale est placée au milieu des collections permanentes ou au Louvre (jusqu’au 6 janvier) où deux œuvres de la série Cléopâtre raisonnent avec les Antiquités grecques, étrusques, et romaines et dans les Antiquités égyptiennes. Une bonne occasion de les voir ou de les revoir. On pourra poursuivre ensuite au Palais de Tokyo (jusqu’au 5 janvier) ou la série Standing Women of Venice, a été conçue par l’artiste en dialogue avec L’homme qui marche de Giacometti, chaque sculpture étant aussi associée à une poétesse que Barbara Chase Riboud admire. Puis on poussera jusqu’au Palais de la Porte Dorée (jusqu’au 12 janvier) ou deux des sculptures de Chase-Riboud qui interrogent les interactions coloniales et le sentiment d’éloignement de chez soi, sont exposés dans le Salon des Laques, un chef-d’œuvre de l’Art Déco de Jean Dunand. Reste à faire un petit tour à la Cité de la Musique et à la Philharmonie de Paris (jusqu’au 13 janvier) qui célèbrent aussi la sculptrice et poétesse.

 

Barbara Chase Riboud au Musée Guimet jusqu’au 13 janvier.

Et aussi « L’or des Ming-Fastes et beautés de la Chine impériale » jusqu’au 13 janvier.

« Kazakhstan, trésors de la grande steppe », jusqu’au 24 mars.

www.guimet.fr


À suivre…

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