Dans son livre « On ne dira pas que nous n’avons rien fait » (éditions des Petits matins), Pascale Auditeau retrace l’épopée du magazine « Écologie infos », l’un des tout premiers médias sur ce thème. Ce magazine tira à 20 000 exemplaires, et jusqu’à 50 000 au moment de l’accident de Creys-Malville. Sa rédaction était installée à Montargis. René Dumont y venait en voisin.
Par Izabel Tognarelli.
Votre livre a pour titre On ne dira pas que nous n’avons rien fait, mais d’après vous, qu’est-ce qui a changé dans l’écologie en cinquante ans ?
Je dirais l’idéalisme, qui caractérise les acteurs de cette aventure. Les jeunes gens qu’ils étaient à l’époque croyaient vraiment en quelque chose, contre vents et marées. Certains, comme Jean-Luc et Sylvie Burgunder, ont sacrifié toute vie professionnelle, tout confort matériel. Aujourd’hui, leurs héritiers ont souvent des fonctions politiques : ils peuvent avoir un confort matériel grâce à leurs indemnités d’élus. C’est plus simple. Les personnes que l’on peut découvrir dans ce livre ont eu des vies très modestes : ils ont largement expérimenté la décroissance !
Dans ces années 70, l’écologie politique n’allait pas de soi. Est-ce que, sur ce point, la situation a vraiment changé ?
Aujourd’hui, on est conscient que l’écologie doit se déployer sur le champ de la politique, sinon, on n’a pas d’audience, pas de résultats. C’est ce qui a changé. Dans les années 70, certains commentateurs et journalistes trouvaient l’idée ridicule. « Pourquoi un parti écologiste ? À quoi servirait-il d’aller défendre les arbres, les rivières et les moutons ? » C’était très caricatural. L’écologie politique n’allait pas de soi, y compris chez les militants écologistes. Le 15 juin 1974, aux assises écologistes de Montargis, les militants voulaient continuer à fonctionner en petits groupes, localement. Ils ne voulaient absolument pas que l’écologie pénètre le champ politique, de crainte qu’elle puisse tout « salir ».
À cette époque, l’écologie était antinucléaire…
C’est la mère de toutes les luttes. Je pense à Pierre Fournier, créateur de La Gueule ouverte, pour qui le combat antinucléaire était vraiment une priorité. On n’était pas si loin de Hiroshima et Nagasaki ; plusieurs États dans le monde procédaient à des essais nucléaires. Pour les militants écologistes de l’époque, les centrales nucléaires restent une émanation de ce danger. Ils sont persuadés que le nucléaire va faire exploser la planète, que c’est le danger ultime et que l’apocalypse va survenir. Ils sont aussi confrontés au programme de construction des centrales sur les fleuves de France : il faut s’imaginer à l’époque ce que représente de construire ces monstres de béton. Pour eux, c’est une insulte à la nature. Cela va donc être le combat parce que, finalement, le moment veut que ce soit le combat.
Comment les écologistes de ces années-là peuvent-ils se reconnaître dans l’écologie telle qu’elle se présente actuellement ?
On serait tenté de dire qu’ils ne se reconnaissent pas, du moins très difficilement. Il n’y a pas de personnalité actuelle, jeune, qui fasse écho. La plupart des personnes dont je parle dans ce livre sont restées profondément antinucléaires. Je pense notamment à Sylvie et Jean-Luc Burgunder, avec qui j’ai beaucoup parlé de ce sujet : ils n’ont pas changé d’avis sur cette question, de même que certains de leurs camarades. D’autres sont devenus plus modérés et disent que, finalement, ces centrales nucléaires sont là, on va les garder, ce n’est peut-être pas l’énergie la plus sale. Les jeunes écologistes, de la génération des vingtenaires et trentenaires d’aujourd’hui, considèrent un peu le nucléaire comme la panacée. Ils considèrent que c’est une source d’énergie décarbonée, sans penser aux déchets ultimes. Je pense d’ailleurs que c’est actuellement une source de discussion au sein du parti écologiste.
Qu’avez-vous tiré, vous-même, de l’écriture de ce livre ?
J’ai voulu ce livre comme un hommage à cette génération qui nous a précédés. Moi aussi je croyais tout savoir ; je pensais avoir la science infuse, avoir tout inventé. Je me suis rendu compte qu’un peu avant moi, certains s’étaient battus et avaient milité. Dans un désert absolu, ils ont dit des choses que nous disons toujours aujourd’hui. On s’est moqué d’eux ; cela a parfois nui à leur vie familiale et professionnelle. Aujourd’hui, ce sont des modèles très inspirants. J’ai été très émue de leur parler et qu’ils puissent s’exprimer. Pour ceux qui ont lu mon livre et m’ont fait un retour, ils m’ont dit : « Finalement, c’est bien ce qu’on a fait ». Pour certains, ils étaient fiers de pouvoir le montrer à leurs enfants, et à leurs petits-enfants. Cela m’a fait plaisir de leur rendre hommage, tout simplement, et de faire connaître cette histoire si intimement liée à Montargis et à René Dumont.
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