Orgue de Saint-Firmin d’Amilly, naissance d’un instrument

À nouveau, nous franchissons la porte de l’église de Saint-Firmin-des-Vignes, à Amilly. Dominique Thomas, de la manufacture d’orgues du même nom, est avec Joseph Rassam, organiste à Amilly. Ils ont mis leur casquette d’harmonistes afin de travailler la sonorité de l’instrument. Celui-ci doit faire corps avec l’édifice et, donc, y être parfaitement adapté.

Artisans et musiciens travaillent à l’harmonisation de l’orgue de Saint-Firmin d’Amilly – Photo Izabel Tognarelli


Par Izabel Tognarelli.


La conversation va se dérouler dans les accords – parfois en saturation – de l’instrument, les coups de marteau et le vrombissement d’une perceuse. Deux menuisiers travaillent de leur côté à accrocher des tringles qui vont servir de supports à de très lourdes tentures de velours. Elles couvrent chaque pan de mur entre les ouvertures habillées de leurs vitraux. À ce concert improvisé va se rajouter le déclic d’un appareil photo, venu fixer ces moments… pour l’éternité (ou presque !). Les accords se succèdent, parfois flûtés, parfois dignes d’un baryton, ponctués de temps à autre du son cristallin de la cloche de Saint-Firmin. Elle est là pour rappeler aux musiciens, totalement absorbés par leur tâche, l’existence des contingences terrestres.

Les premiers sons d’un instrument

Soudain, la voix s’élève : l’orgue chante. Ce sont ses premiers chants, comme les premiers mots d’un enfant. Mais ses intonations sont assurées, avec de-ci, de-là, quelques petites erreurs de syllabes distinguées par ses seuls maîtres à chanter. Car ils sont exigeants. « Ah c’est beau ça ! » entend-on, avec – certainement – une pointe d’accent belge. « Il y a eu une quinte un peu serrée, là », ajoute quelques minutes plus tard une autre voix, précise, mais complice. Car ces musiciens s’entendent bien. Ils ont entre eux des échanges pleins d’humour. Un humour perché, cela va de soi, comme l’instrument qu’ils sont en train d’accorder.

Dominique Thomas nous explique son activité du moment : « On est dans une petite chapelle. L’orgue est grand et on a vite les sons qui nous agressent. Le tout, à présent, est de trouver le bon équilibre – et peut-être certains artifices – pour garder le timbre de cet orgue d’esprit français, de la fin du XVIIe, tout en gardant les timbres tellement particuliers de cet orgue de Saint-Firmin d’Amilly. C’est ça l’harmonisation ! ».

De l’art de composer avec les impromptus

Les artifices auxquels il fait référence consistent en rajouts de feutrine tout en haut de l’instrument, ainsi que de grandes tentures de velours qui recouvrent les murs de l’église ; de celles qui recouvrent habituellement les scènes, destinées ici à amortir le son. Car quand est arrivé le moment d’accorder l’instrument, les harmonistes ont failli se heurter à un mur.

Rarement l’expression se révèle aussi appropriée, car il était initialement prévu que les parois de l’église soient recouvertes de chaux après isolation par l’intérieur de l’édifice, avec un matériau isolant de type chanvre. Au lieu de cela, les parois se retrouvent recouvertes d’un minéral qui ressemble fort à du béton. D’où une acoustique tout à fait différente de ce qui était escompté et le report de l’inauguration de l’instrument, initialement prévue le 20 octobre. « On va essayer de faire en sorte que le son soit enveloppant sans être agressif », poursuit Dominique Thomas. « On trouve des solutions, sur chaque tuyau, pour que tout se fonde bien ». Et de s’interrompre soudainement, alors que l’orgue était en pleine envolée. « Ça, c’est beau ! Ils ont de la chance, à Amilly, d’avoir un organiste pareil ! C’est un musicien exceptionnel ! ».

Bientôt, l’organiste va pouvoir officiellement s’installer au triple clavier – Photo Izabel Tognarelli

Un instrument qui bénéficie d’un retour de mode

À la question « Ce genre de chantier revêt-il un caractère exceptionnel pour vous ? », la réponse est non. « Nous faisons beaucoup de créations. Une de nos créations part pour le Japon dans quinze jours, à destination d’une salle de concert à Kirishima, ville dans la préfecture de Kagoshima. Au mois de février, je pars pour six semaines minimum, afin de le faire chanter ». Autre surprise, l’orgue suscite l’intérêt des jeunes gens : « On assiste à un retour de mode, beaucoup de jeunes s’y intéressent ! Dans notre équipe, nous sommes onze : la moyenne d’âge n’atteint pas les trente ans. Mais il y a des gens plus âgés, comme moi ! ».

Dominique Thomas a donc l’habitude de travailler avec des jeunes gens, assurant ainsi la transmission d’un métier très complexe : « C’est vrai, je suis une mémoire, et j’essaie de beaucoup partager. Le partage est fondamental. Mais il y a toujours quelque chose que l’on ne peut pas donner quand on est dans le monde artistique. Il y a des choses dont je ne pense pas qu’elles s’enseignent ». Ce « quelque chose », il en convient, est comparable à l’âme du violon, sans laquelle l’instrument ne serait qu’une jolie caisse en bois, incapable de chanter. À l’instar de cet instrument, il faut un supplément d’âme, unique et intérieur, afin d’entrer en résonance avec la dimension artistique du métier auquel on s’est destiné.

Et d’ajouter : « On aime bien travailler “à l’ancienne”, avec toutes les matières nobles. Ici, il y a beaucoup de chêne massif. Certains orgues actuels sont à commande électrique. Il n’y a plus de mécanique. Tout le monde sait que, pour tout ce qui est électrique ou électronique, dans trente ans, il faudra tout remplacer. Tandis qu’ici, c’est fait pour durer ». Quant à l’orgue, instrument qui peut faire peur aux profanes, cela le fait sourire : « Mon métier sert d’abord à rendre les gens heureux. Pas besoin d’être nécessairement connaisseur : je ne fais pas un orgue pour les connaisseurs. Il faut que les gens soient transportés, et touchés : c’est le plus important ».

Dominique Thomas présente la mécanique de cet orgue, conçu pour durer – photo Izabel Tognarelli

Des professionnels portés par leur métier

Ce jour-là, le troisième larron est plus jeune, et Breton. Hugo Pillevesse vient de Dinan et travaille auprès de Dominique Thomas depuis sept ans. Il le suit dans tout ce qui relève de l’harmonie. Dominique Thomas lui apprend le métier, les styles, le goût pour les belles choses. Téléphone portable à portée de main, Hugo nous livre sa vision : « La facture d’orgues recouvre une trentaine de métiers différents. Pour tout ce qui relève du musical, du sonore, si on n’est pas passionné, on devient fou ! Avec tous les chantiers, tous les déplacements, on n’est pas beaucoup chez nous. Il faut donc que ce soit une passion, et non un poids. On a la chance de faire un métier que l’on aime, mais il faut vraiment l’aimer pour l’exercer ».

Rendez-vous est donné au printemps 2025, pour se laisser traverser et porter par les notes de ce magnifique instrument. Dans l’intervalle, on peut aller écouter Joseph Rassam lors des vendredis de l’orgue, concerts hebdomadaires gratuits.

Beaucoup de tuyauteries martelées et un certain alliage, dans la facture française de la fin du XVIIe siècle – photo Izabel Tognarelli

 

Le mot de l’organiste

Joseph Rassam est organiste titulaire à Amilly. Il est arrivé après la création de l’orgue de Saint-Martin et a pleinement participé à la conception de celui de Saint-Firmin : « Ce n’est pas mon orgue, mais celui de la ville, une volonté du maire avant tout. Quand ce projet s’est fait jour, nous avons été consultés, Alain Anselm et moi, pour déterminer l’esthétique de l’instrument, avant de procéder à l’appel d’offres. Il nous a paru évident qu’il fallait compléter et non redire ce qui s’était déjà fait à Amilly, d’où le choix d’une esthétique classique française. L’école parisienne fin XVIIe était idéale dans le contexte culturel d’Amilly (…).Les auditeurs du vendredi pourront assez vite s’apercevoir des différences, puisque le répertoire que je joue depuis 15 ans à Saint-Martin ne serait pas très adapté ici. Nous aurons donc deux orgues vraiment caractérisés. ».


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