Il peint à même le ciel, l’air et la lumière. On ne peut être qu’admiratif devant la profusion enchanteresse des créations de Cieu présentées depuis ce vendredi 27 septembre et jusqu’au 13 octobre aux cimaises de la galerie orléanaise La Tour Saint-Etienne. Plus de soixante œuvres sont à découvrir. Un régal.
Par Jean-Dominique Burtin (Texte et photos).
« Ce moment fulgurant où l’on crée »
Cieu devant Cosmos floral cl JDB
Les galeristes
Jean-Bernard Rouilly et
Gil Bastide présentent ainsi, sous le titre “Après le théâtre”, plus de soixante œuvres vives de cet artiste né en 1979 qui vit et travaille à Orléans. Après de grandes expositions orléanaises à la galerie Gil Bastide, en la collégiale Saint-Pierre-le-Puellier puis au Théâtre, voici un ensemble d’œuvres nouvelles. Le coup de patte toujours aussi talentueux et piquant de l’artiste s’y révèle en différents espaces de La Tour, à savoir La Galerie, Le Salon, L’Atelier et La Mezzanine.
Vendredi, jour de vernissage, quelque 400 amateurs d’arts, invités et autres visiteurs certainement amadoués par les deux dibonds parant les grilles de l’Hôtel Groslot et les six autres installés à celles du parc Pasteur, tous réfléchissant des œuvres de l’artiste, ont envahi avec passion l’espace.
Disponible et disert, après avoir rompu avec la solitude de l’atelier, Cieu s’avoue heureux de pouvoir enfin rompre avec la solitude et partager ce travail de plusieurs mois et rencontrer chacun.
Peu avant, en exergue de ce rendez-vous, l’artiste s’était livré en écrivant, pour le carton d’invitation : « Peindre, c’est passer trois heures devant la toile, à ne pas y aller, accepter tout ce temps utile à celui qui va venir, ce moment fulgurant où l’on crée… J’ai l’impression que le théâtre m’a sauvé la vie, la peinture l’a éclaircie ».
Un parcours personnel audacieux
Cieu Butterfly Blues cl JDB
Élève aux Cours Florent à Paris où il rencontre « des gens extraordinaires » à l’écoute de sa personnalité, Cieu s’ouvre alors avec fringale au répertoire de la littérature. Il devient comédien et metteur en scène, mais le jeune artiste optera toutefois pour la peinture où il trouve enfin toute sa place. Cela étant, le peintre ne rompt pas avec la musique, pratique la guitare basse et nous dit, dans un sourire malicieux et mélancolique, avoir rêvé d’être un guitar hero. Confidence pour confidence, au fil du temps, l’artiste aimera tout autant le blues, le jazz, le rock jusqu’à aujourd’hui, le metal.
Histoire d’ailes et de palettes
Ici, Cieu décoche des toiles conjuguant acrylique, huile et encre qui sont d’une réjouissante fraîcheur mais aussi d’une gravité qui peut couver sous la lumière de l’enfance. L’une des figures qui revient comme un ostinato est la figure du papillon. Cieu : « C’est une récurrence depuis que je peins. Elle me rassure. Il y a là quelque chose de symbolique et de sentimental. Je me souviens qu’enfant j’ai attrapé un papillon entre mes doigts et avoir aussitôt peiné d’avoir maladroitement effacé les couleurs de ses ailes ». Pour le peintre, le souvenir ne s’est pas envolé et rien ne saurait désormais effacer ses palettes chantantes.
Gourmandise et bestiaire insolite
Dans cette exposition, la mélancolie se fait ludique avec cette toile Les Bonbons chassent les démons où le peintre jongle de manière ouatée avec les évocations des carambars, fraises Tagada, M&M’s, rubans de réglisse et nounours en chocolat. À découvrir, encore, de surprenantes aventures d’animaux sur skateboard, et de délicieux petits formats tels ce Master poussin très tendre qui affiche aimer Metallica, ou ce Ptit’ parigot, pigeon qui arbore sur sa poitrine les anneaux olympiques des récents JO de Paris. À découvrir aussi la toile L’ours polaire Jardin d’Hiver, grand format qui prend ses aises, face aux verrières de l’atelier de La Tour. Radieuse consolation de l’effet climat.
Cieu, Les bonbons chassent les démons cl JDB
Musique, hommage et abstraction
Côté musique, voici la reprise, façon Cieu, de la Fender de Tom Morello guitariste de Rage Against The Machine, ou cette Butterfly Blues, toile représentant une Cigar Bo Guitar fleurant bon le parfum du Mississippi. À voir, encore et encore, le joli portrait Françoise inspiré d’une photo de Françoise Hardy prise par Jean-Marie Périer, ou le casque de moto Stars and Stripes que porte Peter Fonda (Wyatt) dans le film culte Easy Rider, de Dennis Hopper. Superbe est aussi ce Pendant que maman est sous opium, toile relevant de l’abstraction et faisant penser à l’univers sidéral de Jackson Pollock.
« Se servir des mots comme d’une couleur »
Avec Cieu, parfois quelques brèves lignes à la police de calligraphie changeante, se fondent dans la matière. Ici, rien n’illustre, annonce, mais se présente comme l’amorce de la proposition, un libre jeu de piste lapidaire concourant à déborder le cadre de la toile. À voir également, dans cet accrochage de Gil Bastide et de Jean-Bernard Rouilly, la juxtaposition bienvenue de deux œuvres regroupées sous le titre
Brielle et moi. Ici se trouvent mises en miroir une œuvre de Cieu peinte en 2024 et une toile de son grand-père Roger Brielle, peintre blésois, que ce dernier a réalisé en 1954. Le motif et les touches sont identiques, mais les couleurs de chaque œuvre ainsi ont parcouru le temps et affichent le leur. Il est à noter que Roger Brielle (1899-1964) était aussi poète (La mémoire des feuilles) et l’ami de Paul Éluard,
Max Jacob, René Char et Pierre Reverdy pour lequel il a illustré l’ouvrage Sources du vent.
Pour l’amour et le goût du partage
Encore quelques mots de Cieu : « Au fur et à mesure que je peins, j’apprends. Je pense qu’il faut qu’il y ait de l’art partout, pour que les gens échangent, comme dans une librairie. Ce vernissage me conforte dans cette idée que la peinture n’est que réciprocité ».
Par ailleurs, en Mezzanine de La Tour, voici un rendez-vous de toute délicatesse qui conjugue nature et urbain via l’exposition de photographies de
David Templier et d’Antoine Skarbek avec rehauts peinture de Cieu. Avec une puissante poésie nous est peut-être ici lancé le message que l’on pourrait taguer un iceberg avant que… À découvrir également, dans le même esprit de cette correspondance photographie et rehaut, ce bouquet d’œuvres de Sara. H, épouse de Cieu.
Cieu et Sarah cl JDB
Voici l’histoire d’un duo : la photographe apporte dans l’atelier des fleurs fanées, des invendus qu’elle se procure chez un fleuriste voisin. Une fois les fleurs disposées, Sara. H cadre et photographie sa composition. Sur la photographie tirée, Cieu appose des rehauts. Sara. H : «
Je trouve très beau qu’à leurs derniers moments, en fin de vie, ces fleurs puissent revivre à la douceur des pigments ».
Exposition Cieu, Après le théâtre
Galerie La Tour Saint-Etienne – 8, rue Saint Etienne, Orléans,
jusqu’au 13 octobre.
Ouvert tous les jours de 11 heures à 19 heures, dimanches inclus.
Entrée libre.
À noter : Une affiche numérotée et signée par l’artiste, série limitée éditée par la galerie, intitulée Comme des fleurs pour une affiche, est en vente au prix de 30 euros.