L’industrie pharmaceutique milite activement pour l’expansion de l’automédication et pour une plus grande liste de médicaments vendus en libre accès. Elle estime qu’une utilisation plus large des produits sanitaires sans ordonnance contribuerait à une meilleure santé des Français et permettrait de combler le déficit de notre Sécurité Sociale. Qu’en est-il ?
Par Jean-Paul Briand.
Devant l’apparition d’un trouble de la santé, l’automédication consiste à faire un auto-diagnostic et à se traiter sans l’avis d’un médecin. Dans ce cas, la personne pourra soit utiliser un médicament en sa possession, reliquat d’une précédente prescription médicale, soit acheter de sa propre initiative un remède accessible sans ordonnance ou demander conseil auprès d’un professionnel de santé non médecin. Quel que soit le choix, c’est l’usager qui juge de la réponse thérapeutique à son problème de santé. De nombreux symptômes corporels ne nécessitent pas un avis médical, mais quelles sont les conditions pour qu’une personne décide qu’une manifestation anormale puisse se passer de l’avis d’un professionnel de santé ?
La frontière entre le symptôme anodin d’un des « maux du quotidien » ou celui qui est significatif d’un état pathologique péjoratif est ignorée dans l’automédication. Cet élément interroge les notions de compétence et de risque.
Les maux du quotidien
Dans une étude publiée début septembre, le groupement des laboratoires pharmaceutiques NèreS, qui produit et commercialise des produits de santé « grand public », soutient que les bénéfices économiques et sociétaux de l’usage des produits de santé disponibles sans ordonnance pour traiter les « maux du quotidien » sont « encore largement sous-exploités en France ». Mais quels sont justement ces maux du quotidien censés être traités avec des médicaments en vente libre (OTC, « over-the-counter ») ? Chacun peut en dresser sa propre liste. En réalité ces maux du quotidien sont les problèmes de santé « soignés » par les produits OTC du groupement NèreS et commercialisés en pharmacie. Le pharmacien, caution scientifique, est piégé dans un délicat conflit d’intérêt : il a un rôle de conseil qui l’incite à modérer l’automédication et des intérêts économiques liés au commerce des OTC, aux marges avantageuses, dont la publicité envahit son officine.
Une étude de pacotille
Dans le préambule de l’étude effectuée pour NèreS, les auteurs du rapport alertent : « Nous n’avons pas effectué un audit des informations ni vérifié les informations qui nous ont été fournies dans le cadre de nos travaux ». Ils concèdent que « le présent rapport ne constitue pas une vérification ou un examen conforme aux normes françaises d’audit généralement reconnues ». Ces aveux d’une étude de pacotille ne les empêchent pas d’y affirmer que l’achat de médicaments en accès direct « permet d’éviter 144 millions de consultations médicales et de faire une économie de plus de 3,1 milliards € pour l’Assurance Maladie »…
Compte tenu des déficits de l’Assurance Maladie, de la désertification médicale, de la saturation des services d’urgence hospitaliers, les firmes pharmaceutiques espèrent ainsi convaincre les pouvoirs publics de développer l’automédication avec l’appui des pharmaciens. Déjà des expérimentations sont en cours et devraient se généraliser.
L’automédication est un marché considérable
La situation actuelle des comptes de la nation incite les décideurs politiques à écouter les arguments économiques avancés par les industriels du médicament et non le discours médical. L’opposition des médecins qui ressentent l’automédication comme une pratique déviante et dangereuse, mais aussi en raison de la dépossession d’une partie de leurs compétences et de leur pouvoir, ne pèse pas lourd. Pour les firmes pharmaceutiques, l’automédication avec des OTC, est un marché considérable. Ces produits sans ordonnance offrent des marges plus élevées que les médicaments vendus sur prescription, ont des coûts de production, de développement et de recherche réduits puisque ce sont des recyclages de molécules existantes et leur publicité est autorisée.
Le débat sur l’automédication est désormais uniquement économique et ne concerne plus les questions de compétence ou des risques sanitaires possibles…
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