Pendant deux longues années, la maison de Tante Léonie fut fermée au public pour cause de travaux. Sa réouverture était très attendue des amoureux de littérature, et encore plus de la grande communauté des Proustiens ! Elle a finalement eu lieu en mai dernier après une intense campagne de restauration de plusieurs millions d’euros.
Par Izabel Tognarelli.
Et de mettre un genou à terre à l’entrée du grand temple de la mémoire proustienne, non pas en signe de dévotion, mais pour se mettre à hauteur de Marcel, âgé d’une dizaine d’années au moment où il venait en vacances, le plus souvent à Pâques, chez l’oncle Jules et tante Élisabeth (devenue Tante Léonie une fois transposée dans La Recherche). On cherche du regard lesquels des arbres actuellement présents ont pu connaître l’enfant. Le marronnier sous lequel la famille passait de « beaux après-midi du dimanche » dans le jardin de Combray (Du côté de chez Swann) est-il encore de ce monde ? Ou bien a-t-il été remplacé par ce palmier, sans doute chargé d’évoquer les années algériennes de l’oncle Jules ?
Le Grand Temple de la communauté proustienne !
Le rez-de-chaussée, espace autrefois dévolu au commerce de Jules Amiot, drapier, est devenu un espace muséal, vaste, spacieux, lumineux. Textes et photos remettent en place la généalogie de la famille Proust, originaire de ce coin de Beauce. Il brosse aussi, à grands traits, les débuts littéraires du jeune homme à la santé fragile. Sur une photo, on distingue Alfred Agostinelli, dont il avait fait son secrétaire et qu’il poursuivait d’assiduités qui n’inspiraient aucune réciprocité. Il est communément admis qu’Alfred a inspiré le personnage d’Albertine, l’une des « jeunes filles en fleurs » de La Recherche. Son décès a profondément affecté son Pygmalion.
On découvre aussi avec surprise une photo de Marcel Proust en habit militaire, à Orléans. Imagine-t-on Marcel Proust en soldat ? Assurément non, d’autant qu’au moment de la guerre, il a été réformé en raison de sa santé. Il n’empêche qu’il a fait son service militaire, et à Orléans, ce qui au passage éclaire cet extrait de Sodome et Gomorrhe (tome IV de La Recherche), dans lequel on suit le baron de Charlus dans l’une de ses errances (au propre comme au figuré) : « Il n’y avait qu’une place de libre, j’avais en face de moi, comme monument historique, une « vue » de la cathédrale d’Orléans, qui est la plus laide de France, et aussi fatigante à regarder ainsi malgré moi que si on m’avait forcé d’en fixer les tours dans la boule de verre de ces porte-plume optiques qui donnent des ophtalmies ». Quelle savoureuse méchanceté que celle du baron de Charlus…
« Quand tout le monde était couché, il allait se retirer dans un petit cabinet meublé “à l’orientale” de mille choses qu’il avait rapportées d’Algérie, (…) donnant directement sur le jardin par des fenêtres en petits carreaux de couleur » (extrait de Jean Santeuil, roman que Marcel Proust a laissé inachevé) – photo Izabel Tognarelli
Le charme désuet, mais authentique d’une maison du XIXe siècle
L’escalier n’est pas celui du premier tome de La Recherche, mais il y fait penser. Depuis la cuisine, il mène à l’étage, où l’atmosphère semble figée. Trop peut-être, c’est sans doute le bémol de cette restauration : il manque un guide porté par son sujet, comme celles et ceux de la maison de Colette, à Saint-Sauveur, qui insufflent vie et passion aux lieux.
Les chambres sobres et modestes de cet étage laissent place à la modernité (et, par simple contraste, à un certain clinquant) dans le grenier, aménagé afin d’accueillir conférences et colloques. Un écran géant diffuse en permanence des archives documentaires, et l’on entend notamment le témoignage de Cocteau racontant Proust tel qu’il l’a connu. Celui-ci aurait dit à Emmanuel Berl qu’il avait « autant de talent qu’une paire de chaussures ». On entend aussi Cocteau énonçant, avec le plus grand sérieux, que sur le fameux portrait de Jacques-Émile Blanche, Proust ressemblait « à un œuf de Pâques ». En recherchant archives et témoignages, on trouve nombre de traits d’esprit, que l’on se plaît à imaginer énoncés tantôt avec une férocité ironique, tantôt sur le ton d’une affection moqueuse, et qui contribuent à esquisser le caractère de Marcel Proust tel qu’il devait être de son vivant.
Un jardin et… une lecture !
La Recherche, c’est Méréglise et Swann d’un côté ; le côté des Guermantes de l’autre. À Illiers-Combray s’observe la même dualité : d’un côté, cette maison, devenue de très longue date un musée dédié à la mémoire de Marcel Proust ; de l’autre, en lisière du village, le Pré Catelan, parc dessiné de main de maître par Jules Amiot, jardinier avisé : hors de question de quitter cette petite ville sans l’avoir visité !
Nous ne quitterons pas non plus nos amis lecteurs sans leur recommander une lecture délicieusement décalée ; celle de Chercher Proust, extraordinaire premier roman de Michael Uras, initialement édité par Christophe Lucquin Éditeur (qui en cela avait pleinement exercé son métier de découvreur de perles !), roman par la suite repris par Le livre de poche. Il y a des lectures qui, même une bonne douzaine d’années plus tard, ne peuvent être oubliées !
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Informations pratiques
Place Lemoine, 28120 Illiers-Combray. Tél. : 02 37 24 30 97. Mail : contact@amisdeproust.fr – Site internet : https://amisdeproust.fr.
Horaires : en juillet et août, ouverture tous les jours, de 11h à 18h. D’avril à juin puis en septembre et octobre, du mardi au jeudi, de 13h30 à 17h30 ; du vendredi au dimanche, de 11h à 17h30. De novembre à mars, du mardi au dimanche, de 13h30 à 17h30.
Tarif plein : 9€ ; Tarif réduit : 7€.
Samedi 21 septembre et dimanche 22 septembre (Journées du Patrimoine 2024), ouverture de 11h à 18h, tarif unique : 4€50.
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