S’il y a bien quelqu’un qui mérite une médaille d’or cet été, bien plus que Teddy Rinner ou Léon Marchand, c’est Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti Socialiste, qui encaisse comme personne crochets du gauche, crochets du droit. Malgré les enjeux liés à l’effondrement des scores du parti depuis 2014 et à la fonte de ses effectifs et de son influence, les socialistes n’arrivent pas à se serrer les coudes, les risques d’implosion étant plus que jamais d’actualité. Et Faure doit mouiller la chemise pour tenir la baraque, en quatrième vitesse qui plus est.
Olivier Faure. Crédit photo Jean-Luc Vezon
Par Joséphine.
Avec la législative précipitée d’il y a quelques semaines, la victoire en trompe l’œil du Nouveau Front Populaire et la stratégie de fracture de la gauche par un Emmanuel Macron qui organise ce 23 août des réunions pour trouver un Premier ministre de consensus, la crise est de nouveau ouverte au PS.
20 ans de soucis balayés sous le tapis
Car le parti connaît une descente aux enfers depuis bientôt 20 ans. Incapable de maintenir son unité chérie après les déchirements internes liés au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen en 2005-2007, affaibli après la défaite de Ségolène Royal à la présidentielle 2007 et la séquence des règlements de compte entre courants, les socialistes n’ont connu qu’une courte embellie en 2012. A la surprise générale après le scandale Strauss-Khahn, le PS réussit alors à se ranger en ordre de bataille derrière François Hollande qui, il est vrai, bénéficie à plein du ras-le-bol de la figure Sarkozy. Mais après le virage droitier de 2014 avec la nomination de Manuel Valls à Matignon, les socialistes enchaînent les échecs et les crises. Hollande, au plus bas dans les enquêtes d’opinion et avec un bilan bien médiocre en fin de quinquennat, n’ose pas se représenter, offrant un boulevard à un Emmanuel Macron « ni de droite ni de gauche », pourtant issu de la fabrique à élites socialistes. Proche des réseaux des jeunes strauss-khahniens, Macron embarquera dans son aventure la frange la plus droitière du PS, fatiguée de devoir composer avec les frondeurs et autres socialistes fidèles au socle idéologique de la vieille maison. Lors de la primaire socialiste de janvier 2017 visant à désigner un prétendant pour l’Élysée, on verra les courants s’affronter violemment. Le candidat légitime, Benoît Hamon, lâché par nombre de cadres pendant la campagne pour la présidentielle claquera la porte quelques semaines plus tard pour fonder Génération.s et le candidat défait à la primaire, Manuel Valls, ne respectera pas ses engagements et quittera le navire, tout rouge de colère, préférant les cieux catalans.
Cinq ans plus tard, en 2022, le parti désormais devenu réserve d’éléphants et comité électoral pour barons de province, investit Anne Hidalgo et n’atteint pas les 2% à la présidentielle. Olivier Faure négocie alors en quelques semaines les accords de la NUPES et permet au parti de limiter la casse aux législatives. Mais loin d’être soutenu par une majorité écrasante de socialistes, Faure doit faire face dès janvier 2023 à une vendetta en interne et ne sauve sa place de premier secrétaire au Congrès que d’extrême justesse, malgré les accusations de fraude de son rival Nicolas Meyer-Rossignol, un éléphanteau aux dents longues.
En 2024, encore convalescent, le parti n’ose pas aller seul aux Européennes mais ne veut pas non plus d’une liste d’union des gauches. Il est alors jugé habile d’investir Raphaël Glucksmann, fondateur du micro-parti Place Publique : s’il fait un bon score, le PS en récoltera les fruits, s’il réalise une contre-performance, ça n’engagera que Glucksmann lui-même. Pari peu courageux, mais pari gagnant. Ou en tout cas, pari mis en scène pour changer de narratif et insuffler une dynamique nouvelle au parti. Peu importe le taux de participation faible et peu importe l’impossibilité de savoir clairement qui a voté pour Glucksmann et pourquoi – sociaux-libéraux sincères ? Macronistes de gauche dégoûtés par la séquence loi-immigration ? Vote utile à gauche par des électeurs unionistes ? –. Ce qui importe, c’est que les cadres du parti et les médias parisiens soient unanimes : les Européennes sont un triomphe pour le PS et une déroute pour LFI – qui pourtant augmente fortement son nombre de voix par rapport à 2019 –. Et il est donc grand temps d’achever la NUPES et de penser à 2027.
Le tournant imprévu de la dissolution
Mais patatras, la dissolution anticipée d’Emmanuel Macron réduit à néant la paix armée au sein du PS. On n’a plus trois ans pour régler ses comptes, là il faut sauver les meubles en une semaine. Et comme en 2022, c’est la ligne unioniste qui prend le dessus et permet à Faure de signer les accords du NFP puis de doubler le nombre de députés roses dans l’hémicycle.
Toutefois, le répit de Faure n’aura duré que quelques semaines de campagne. Dès le lendemain de la victoire relative du NFP, Place Publique et le gang des éléphants dans le PS – Hidalgo, Delga, Bouamrane, Meyer-Rossignol, Kanner, Hollande, Delafosse…- et hors du PS – essentiellement Cazeneuve -, reprennent de plus belle leur guérilla dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Leur stratégie de communication ? Celle tout à fait classique des girouettes en politique : ne pas trop en dire, rester très flou sur le fond et en faire des tonnes sur la forme. Car il s’agit en quelques heures de faire oublier qu’ils ont acquiescé au NFP et à l’alliance avec LFI et que désormais, ils sont favorables au compromis macroniste et à un gouvernement « d’union nationale ». Rien n’est avancé en termes programmatiques, aucune ligne rouge n’est tracée, rien n’est annoncé, chiffré, budgété, arbitré. On se contente de marteler son attachement à « la République » et à la « laïcité », on se veut « réaliste », « pragmatique », intransigeant sur « les valeurs », « constructif », sans « œillères », on prône un changement de « logiciel », on se déclare « ouvert au dialogue », prêt aux « concessions », agissant « dans l’intérêt des Français », « entendant » le message qu’ils ont donné, en toute « responsabilité ». Mais on ne détaille pas davantage. Il ne faudrait pas s’enfermer soi-même dans des engagement électoraux que l’on ne pourra pas tenir quand il s’agira de penser à sa carrière. On trace un vaporeux espace « ni Mélenchon, ni Macron ni Le Pen » et on se répand dans des médias parisiens aux mains des milliardaires, soulagés de porter une voie alternative au NFP et à ses promesses de justice fiscale.
Le bal des girouettes
Ces girouettes, on les connaît bien, ce sont les habituels professionnels de la profession politique, si typiquement français. Il y a Bernard Cazeneuve avec son groupuscule La Convention, ancien du PRG ayant claqué la porte du PS après les accords NUPES, entretenant une carrière dans un grand cabinet d’avocats lobbyistes de la place de Paris. On aperçoit aussi Raphaël Glucksmann, Aurore Lalucq ou Aurélien Rousseau, de Place Publique. Le premier est un très germanopratin fils à papa issu du libéralisme atlantiste ayant soutenu Sarkozy en 2007, la deuxième a été proche des écologistes, puis du PS, puis de Génération.e avant de passer à PP. Le troisième est un ancien du PCF puis du PS, passé au macronisme avant de revenir « à gauche ». Les deux premiers pourtant fraîchement élus au Parlement Européen s’intéressent de plus en plus à l’échelon national, multipliant les déclarations bravaches. Les trois tapent sans arrêt sur LFI et sur la ligne politique du NFP, qu’ils ont pourtant validée quelques semaines auparavant. On remarque aussi dans ce bal des opportunistes de vieux éléphants du PS, souvent sénateurs ou patrons de collectivités locales ou régionales qui ne peuvent se défaire de l’idée d’un PS dominant à gauche, trop habitués à considérer écologistes, communistes et insoumis comme de simples forces d’appoint quand il s’agit de se faire élire. Enfin, on retrouve de fringants cadres socialistes issus de Sciences Po, trop jeunes pour avoir connu le courant strauss-khahnien ou pour avoir trahi en 2017 mais qui veulent garder leurs perspectives de carrière les plus ouvertes possible.
Pourtant, les études d’opinion à disposition montrent que le socle électoral du PS reste très faible – autour de 5% – et que les électeurs qui ont déjà voté PS sont majoritairement unionistes et peu sensibles aux manœuvres du courant droitier du parti. Pire, ces socialistes qui demandent à discuter avec les macronistes et à renier la parole électorale donnée, semblent ignorer le rapport de force à l’Assemblée. Leur seule chance de constituer une majorité avec les troupes présidentielles serait que les 2/3 des députés PS acceptent d’intégrer une coalition qui irait jusqu’à LR, sur un programme d’austérité budgétaire. En résumé, ils devraient voter publiquement pour l’inverse de ce pour quoi ils ont été élus et… faire pire que Hollande qui a pourtant coulé le parti. Et cela Faure et nombre de députés savent que ce serait un suicide.
Parti de gauche ou parti de notables ?
De son côté, Macron a bien compris tout ça et multiplie les ballons d’essai mettant en avant Bernard Cazeneuve ou le bien droitier socialiste Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen, comme potentiels Premiers ministres, histoire d’appâter les députés PS dans son piège. Il est même question depuis quelques heures qu’Élisabeth Borne – réputée macroniste de gauche –, prenne la tête de Renaissance pour montrer un rapprochement possible avec les socialistes. C’est toutefois oublier qu’elle a été une cheffe de l’exécutif impuissante et incapable de compromis à l’Assemblée, imposant ses choix au forceps, et ce avec un nombre de députés macronistes bien supérieur à aujourd’hui.
La rupture stratégique, politique, générationnelle et sociologique au PS semble donc plus proche que jamais. Peut-être une étape indispensable quoi que douloureuse pour la gauche, histoire de liquider enfin les trahisons de 2005 et du hollandisme et de clarifier les positions de chacun, en évitant de réduire la gauche à des discours moraux aussi vibrants qu’impuissants au sujet des Ouïghours ou de « causes » consensuelles. En évitant aussi que la gauche ne soit qu’un club de diplômés des grands centres urbains et soit encore capable de parler aux classes populaires et petites classes moyennes. Qu’elle parle économie et partage de la richesse crée plutôt que de se restreindre au « sociétal ».
Quitte ensuite à construire un projet qui pourra intégrer les sociaux-libéraux, en transparence pour les électeurs, et non pas avec ce paternalisme insupportable des derniers mohicans hollandiens qui expliquent qu’en fait, au fond, les électeurs du NFP veulent une coalition avec Macron, que c’est ça le sens du « barrage républicain », refusant aux citoyens de gauche la prise en compte de leurs revendications programmatiques.
En tout cas, pendant que la « grenade dégoupillée » d’Emmanuel Macron n’en finit pas d’exploser, l’esprit de la Constitution est bafoué avec cynisme et le président gagne du temps, son principal objectif étant de placer un éventuel futur gouvernement de cohabitation devant le fait budgétaire accompli – le projet de loi de finances doit être bien avancé début octobre –, pieds et poings liés dans l’attente d’une nouvelle dissolution à l’été 2025. Mais attention, en tout attachement responsable à la République bien sûr.