[Rétro] Le Gâtinais en résistance, immersion essentielle dans les maquis de l’est du Loiret

Pendant la trêve estivale, Magcentre prend le temps de revenir sur l’actualité qui a rythmé cette première moitié de l’année 2024. Nous vous proposons quelques articles qui ont marqué ces derniers mois.

Première publication lundi, 8 avril 2024

Dans le Loiret, l’histoire du maquis de Lorris est bien connue, mais la résistance sur ce département ne saurait s’y limiter. Corsaire éditions publie « Le Gâtinais en résistance », livre très intéressant et bien conçu, signé Liliane Brulez. Cet imposant ouvrage de 445 pages a le mérite de faire émerger l’histoire d’autres maquis, à l’histoire jusque-là éclipsée.

Chefs de la Résistance de Griselles (coll.privée M. Norest)

Chefs de la Résistance de Griselles (coll.privée M. Norest)



Propos recueillis Izabel Tognarelli


Les recherches pour votre livre remontent au début des années 2000. Comment se sont-elles organisées au fil du temps ?

Quand j’étais petite, on me racontait souvent les histoires qui s’étaient passées dans ma famille : les arrestations, la Gestapo qui arrivait. J’étais tout ouïe. Plus tard, j’ai écrit un livre sur le quartier de la Chaussée. Au fur et à mesure que je rencontrais des gens pour leur faire raconter leur vécu, je leur faisais toujours un peu raconter la guerre. J’avais aussi pour voisin Bernard Chalopin, du maquis de Lorris. Il m’a indiqué d’autres résistants qui avaient œuvré un peu partout dans les environs et pas forcément dans le maquis de Lorris, justement.

Comment avez-vous procédé pour collecter leurs témoignages ?

J’ai rencontré mes interlocuteurs à de nombreuses reprises, pas de façon ponctuelle. Pour Bernard Chalopin, je ne sais pas combien de kilomètres de bandes j’ai enregistré (à l’époque, c’étaient encore des cassettes). Pour les autres, c’est pareil : je suis allée les voir 5 ou 6 fois chacun, j’y passais trois heures : c’était très long. Au bout d’un an ou deux, je me suis retrouvée avec beaucoup d’enregistrements, je me suis dit que ce serait bien d’en faire quelque chose.

Quelle fut l’étape suivante ?

J’ai voulu voir ce que disait la version officielle et j’ai commencé un travail de recherches dans les archives. Je me suis rendue aux Archives départementales du Loiret, aux Archives nationales, à la bibliothèque contemporaine de Nanterre. Bien évidemment, je suis allée aux archives militaires de Vincennes, mais aussi à celles du Blanc, où sont conservées toutes les archives militaires judiciaires, c’est très intéressant. Ce que j’y ai lu – notamment le jugement de la Gestapo d’Orléans – n’est actuellement plus accessible à cause d’un désamiantage, une décontamination appelée à durer (le Dépôt Central d’Archives de la Justice Militaire a rouvert ses portes en février 2024, après quatre années de fermeture, NDLR).

Comment s’est déroulé ce volet de votre recherche ?

Les Archives de la Seconde Guerre mondiale sont ouvertes au public depuis 2015. Mes recherches sont antérieures. Pour y avoir accès, il fallait une dérogation et six mois pour l’obtenir. Au Blanc, c’est une caserne et des archives militaires : j’étais toute seule, il n’y avait pas de salle de lecture et vous n’aviez pas le droit de prendre des notes. Mais je pouvais enregistrer. J’ai donc lu à haute voix tout le jugement de la Gestapo d’Orléans, toute la journée, du matin au soir. Quand on fouille dans les archives de la police ou de la justice pendant l’Occupation, on découvre des choses passionnantes. On parvient à croiser les renseignements et on voit comment l’ennemi percevait les résistants. On voit qui étaient les responsables recherchés.

Que gardez-vous de ce croisement de regards entre l’ennemi et les résistants ?

Il faut voir comment les résistants étaient traités. J’ai trouvé des documents d’arrestation, notamment ceux de la famille Vessière. Jean Vessière était responsable du réseau Prosper à Montargis. Les rapports de recherche au sujet des Vessières sont glaçants. On se demande comment des gens peuvent être capables de telles choses. Mais il faut se rendre à l’évidence : l’humain est ainsi.

Que vous reste-t-il de plus prégnant de ces années de travail ?

Indéniablement, mes rencontres avec les résistants. J’ai un regret – je ne peux pas m’en consoler, car il est à présent trop tard – c’est qu’ils n’auront pas mon livre. Vraiment, j’ai rencontré des gens d’une gentillesse, d’une générosité et d’une modestie ! C’est formidable de rencontrer des gens comme ça ! Quand je lis, je les entends. Quand je rédigeais, ça me faisait même de la peine qu’ils ne soient plus là. On sait aujourd’hui que la reconnaissance, les cérémonies, ont un impact réparateur, thérapeutique, sur les traumas liés aux guerres. Les résistants ne l’ont pas eue. Cette réparation vient un peu tard, mais au moins, elle est venue. Et là, cela rejoint mon travail de psychologue (Liliane Brulez exerce par ailleurs en tant que psychologue, dans le Montargois, NDLR).

Il y a aussi la personnalité trouble d’Annick Boucher : comment des gens aussi prudents que les résistants ont-il pu se faire avoir ?

Il y avait à la fois de la prudence, mais aussi de l’imprudence. J’ai rencontré plusieurs personnes qui ont croisé Annick Boucher : elle était extrêmement séduisante. J’ai lu en détail et en entier son procès aux Archives départementales du Loiret : à chaque allégation du juge, elle a une réponse et un témoin qui lui donne raison. C’est pour ça qu’on n’a pas pu la condamner. Sauf que – et c’est là-dessus que je termine le livre – aux archives du Blanc, il est bien écrit qu’elle était une indic de la Gestapo.

Couverture du livre Le Gâtinais en résistance, Liliane Brulez, Corsaire édition

Les éditions Corsaire ont plusieurs livres relatifs à la Seconde Guerre mondiale dans leur catalogue, parmi lesquels La Tragédie des lycéens parisiens résistants, de Georges Joumas, docteur en histoire contemporaine. Ce livre relate l’épisode des « fusillés de Sologne » autre fait marquant de la résistance, au cours duquel 41 lycéens et étudiants parisiens des corps francs ont été exécutés par la Gestapo, suite à la trahison de l’un des leurs. Ces faits se sont déroulés à La Ferté-Saint-Aubin. « Le réalisateur David André s’est appuyé sur le travail de Georges Joumas, pour son film Les lycéens, le traître et les nazis », nous explique Gilbert Trompas, directeur de Corsaire édition. Diffusé en janvier 2021 sur France Télévisions, ce remarquable docu-fiction a permis à de très nombreuses personnes de prendre connaissance de ces faits marquants, mais qui se sont retrouvés noyés dans les innombrables exactions de l’armée occupante, suite au Débarquement sur les côtes normandes.


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