Le casse-tête du Nouveau Front Populaire

[Billet] Après la très courte victoire du Nouveau Front Populaire le 7 juillet dernier, à la surprise générale des sondeurs et éditorialistes parisiens, une phase très complexe de négociations pour aboutir à la formation d’un gouvernement a commencé. Et les tensions internes à chaque parti politique de la coalition se manifestent de nouveau après la courte paix armée de la campagne.



Par Joséphine



A LFI, la difficile culture du compromis

Cela a commencé à l’été 2023. Lorsque LFI n’a pas obtenu de ses partenaires de la NUPES la moindre position éligible au Sénat et que les écologistes ont refusé de faire liste commune aux Européennes qui se profilaient, il est devenu évident qu’une reconfiguration au sein de l’union des gauches était à l’œuvre. Quelques figures insoumises commençaient alors à organiser des rencontres discrètes avec des cadres du PS, de EELV et du PCF pour discuter de 2027 et évacuer le « boulet » Mélenchon, associant également des élus de terrain pour constituer un réseau. A l’automne 2023, l’émission Complément d’Enquête sortait un reportage très critique sur Sophia Chikirou, proche parmi les proches de Mélenchon, puis les attentats terroristes du 7 octobre et les prises de position des Insoumis furent l’occasion d’un déchaînement politique et médiatique, alimenté parfois par des membres de la NUPES, visant à rendre définitivement infréquentable la FI.

En mai 2024, à quelques semaines des européennes et alors qu’un embrassant article de l’Express était sur le point de sortir, révélant une fronde au sein même de LFI, étaient déposés les statuts de l’Après, nouveau parti – présenté ce 13 juillet – , regroupant des Insoumis non-réinvestis lors des législatives et quelques ténors en désaccord avec le clan Mélenchon.

Simple question de personnes ou mélodrame façon Dallas de gauche ? Rien n’est moins sûr. Car la question depuis un an est également stratégique et concerne le périmètre de l’union qui pourra obtenir une majorité et gouverner. Sauf que la dissolution surprise a précipité le processus et obligé tout le monde à plus ou moins montrer son jeu.

L’équation posée est très complexe mais comprend deux grandes solutions : soit isoler Mélenchon devenu supposément « trop clivant » et former une alliance qui irait de l’Après jusqu’aux futurs débris de la gauche macroniste, essentiellement d’anciens socialistes, avec un programme plutôt social-démocrate qui poserait le PS en force principale et centrale. Soit continuer d’agréger les contestations sociales exacerbées par les effets de la politique néolibérale des années Macron, conserver un programme de rupture keynésienne, et isoler la branche droite du PS et les macronistes grillés par l’exercice du pouvoir pour aller vers un affrontement avec le RN, cette fois avec une gauche dont le centre de gravité serait plutôt Insoumis. Dans cette deuxième hypothèse, la présidentielle est cruciale car l’idée serait une clarification lors d’un deuxième tour Mélenchon-Le Pen et, en cas de victoire, aborder la législative en position de force pour imposer la ligne aux partenaires de gauche devenus simples forces d’appoint.

La nomination au poste de Premier ministre cristallise donc cette tension sous-jacente à LFI : faut-il pousser quelqu’un proche du clan Mélenchon – ce qui était le cas d’Huguette Bello –, provoquer la censure rapide et donc se retrouver dans l’opposition pour préparer 2027 et capitaliser sur la crise sociale, démontrant l’impasse du néo-libéralisme ? Ou faut-il accepter un profil proposé par le PS et tenter tout de même de faire passer des textes forcément édulcorés par des compromis avec les macronistes, au risque de passer pour des traîtres auprès de l’électorat de gauche ?

Chez les Ecologistes, il est urgent d’attendre

Chez les Verts aussi, deux courants s’affrontent. D’un côté le courant plutôt anti-Union, plus centriste, incarné par Marine Tondelier depuis fin 2022, sous l’œil bienveillant de Yannick Jadot. De l’autre, un courant plus radical et à gauche, représenté par Sandrine Rousseau et le mouvement de jeunesse du parti, davantage unionistes.

Mais au-delà des lignes, Marine Tondelier est également obligée de composer avec la réalité, car les députés et pas mal de maires écologistes élus en 2020 savent que la stratégie du cavalier seul est perdante pour eux et que sans l’appui de LFI, nombre de circonscriptions et de municipalités risqueraient d’être perdues à terme, enterrant le parti.

L’échec des Écologistes aux Européennes et les tensions internes de plus en plus fortes à l’approche des municipales de 2026 avaient affaibli Marine Tondelier qui était quasi sur le départ au soir du 9 juin. Mais la dissolution surprise et l’habileté de la patronne des Verts dans la séquence des législatives ont permis de ressouder les troupes et d’enregistrer un score honorable le 7 juillet, au prix d’un gauchissement de la ligne, d’où une nouvelle proximité de fait avec LFI, proximité critiquée par certains au PS.

Dans ce cadre, et avec un discours médiatique et politique qui a eu tendance à criminaliser le militantisme écologiste, notamment avec les actions des Soulèvements de la Terre, les Verts entendent la jouer discret, se poser en facilitateurs, sécuriser leurs postes et positions et attendre un moment plus favorable pour faire entendre leurs revendications. Toutefois, la notoriété nouvelle de Marine Tondelier et son aisance dans les médias sont une bonne nouvelle, et qui sait, peut-être qu’elle pourrait rapidement représenter une hypothèse de consensus a minima au sein du NFP, d’autant plus qu’il semble qu’elle s’entende assez bien avec Jean-Luc Mélenchon.

Le RN et la frange droitière des macronistes, incarnée par Gérald Darmanin ne s’y sont d’ailleurs pas trompés et tapent de plus en plus sur les écologistes, qualifiés désormais systématiquement d’extrémistes, logés presque à la même enseigne que les Insoumis.

Au PS, le choc des cultures

C’est au Parti Socialiste que la situation est la plus complexe, même si la séquence politique qui leur est favorable est exploitée au maximum. Le score de Raphaël Glucksmann – pourtant modeste et bénéficiant d’un effet vote utile à gauche et du retour d’une partie des électeurs de centre-gauche dégoûtés par la droitisation de Macron depuis un an – est présenté comme un triomphe. Idem pour les législatives, le nombre de députés socialistes ayant plus que doublé…même s’il n’atteint péniblement que 70 élus.

Olivier Faure, affaibli depuis le congrès de janvier 2023 où il a été réélu à la tête du parti d’une très courte majorité, le scrutin ayant été publiquement contesté par son opposant – Nicolas Mayer-Rossignol – qui a même dénoncé des irrégularités, a tout de même réussi à imposer la participation du PS au Nouveau Front Populaire. Mais maintenant, se posent en symétrique les mêmes questions qu’à la France Insoumise. Faut-il assumer l’ADN du parti et tout faire pour gouverner, quitte à s’allier ponctuellement avec les macronistes – voire Horizons et LR – à l’Assemblée, sous peine de passer pour des traîtres auprès d’un électorat qui se souvient du naufrage du Hollandisme après 2014, risquant une veste à la prochaine présidentielle ? Ou alors faut-il assumer l’appartenance au NFP, sans non plus donner carte blanche aux Mélenchonistes, ne pas gouverner dans l’immédiat et bâtir une alternative mieux construite pour la suite, tout en continuant de corneriser LFI ? 

La réponse est d’autant plus compliquée que les socialistes gèrent encore plus de variables que les autres partis de gauche. Que faire du cas Glucksmann, non socialiste et un peu trop électron libre ? Comment concilier une dynamique électorale au national qui pousse plutôt à un gauchissement du PS alors que nombre de ténors du parti sont présidents de région ou de métropole et qu’ils sont plutôt centristes ? Le cas de François Bonneau en Région Centre Val-de-Loire est tout à fait symptomatique de cette tendance, lui qui s’appuie sur des macronistes déclarés tels son quatrième vice-président délégué à l’économie, Harold Huwart, alors qu’il entretient des relations très fraîches avec les Insoumis membres de sa majorité. Et c’est la même chose avec Dufay, Delga ou Rousset, sous l’impulsion de Hollande et Hidalgo, assez revanchards et savonnant la planche d’Olivier Faure depuis 2022. Et puis, sur le long terme, comment redevenir un parti attrayant pour les militants et parler de nouveau aux électeurs des espaces ruraux et des quartiers populaires ?

Il est probable que la candidature de Faure pour Matignon soit un moyen de faire monter les enchères dans les négociations avec les Insoumis tout en obligeant les socialistes à faire bloc. D’ailleurs ce matin, le patron des socialistes a ouvert la porte au scénario d’un Premier ministre issu de la société civile, preuve d’un compromis possible : ni un mélenchoniste, ni un socialiste à Matignon.

Et les macronistes dans tout ça ?

Mettons de côté Emmanuel Macron qui semble pour l’heure isolé et en perte d’influence. Cela étant dit, se pose quand même la question des perspectives pour Renaissance. La boutique sera-t-elle reprise par la nouvelle coqueluche des milieux d’affaires – Gabriel Attal – ou explosera-t-elle, alimentant des retours dans les partis traditionnels ? La question est suivie avec attention pas les socialistes et surtout par Édouard Philippe qui espère rafler la mise à droite, d’autant plus avec des Républicains occupés par la question du rapport au RN.

L’hypothèse d’un nouveau gouvernement Attal semble peu probable, les risques politiques étant trop grands car en se grillant à Matignon avec une Assemblée bloquée, c’est l’espoir de l’Élysée en 2027 qui s’évanouit. Dans cette configuration, Emmanuel Macron et Renaissance ont tout intérêt à jouer la montre, attendre que le NFP finisse par s’écharper puis éventuellement nommer un gouvernement technique composé d’énarques qui ne feront de l’ombre à personne, façon Jean Castex, l’accent chantant en moins, la politique d’austérité en plus. Mais cette hypothèse n’est pas idéale car Attal semblerait manquer de courage et de cohérence, lui qui se pose en homme d’État responsable, artisan du compromis républicain et prêt à se sacrifier pour la France.

Bon ok, et du coup ?

L’autre solution serait de constater le blocage et d’acter la tripartition des forces politiques, poussant Macron qui pourrait être tenté, avec son obsession de laisser une trace indélébile dans l’Histoire, de convoquer une Constituante ou du moins une réforme en profondeur de la Vème. Une sortie par le haut, finalement.

Mais en l’état, le plus probable est un statu quo, un blocage avec des motions de censure en cascade et une Assemblée d’autant plus tendue qu’il faudra se préparer à un nouveau scrutin à court terme. Et comme d’habitude, le RN restera silencieux et n’aura qu’à attendre le pourrissement de la situation, dînant agréablement avec les figures de la droite pour passer le temps. Il suffira de laisser travailler les médias avec le soutien explicite du groupe Bolloré, quand ce n’est pas carrément les médias plus mainstream, qui continueront d’hystériser le débat, de sélectionner les sujets fétiches de l’extrême-droite et de diaboliser Mélenchon, comme le théorise d’ailleurs Bernard-Henri Lévy dans le Point la semaine dernière et comme le fait Nathalie Saint-Cricq chaque jour qui nous est offert.    

Commentaires

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  1. Et nous dans tout cela ? Doit on se contenter d’être les spectateurs de ce théâtre de guignol ?
    J’observe quand même un positionnement intersyndical inédit (sauf fo bien sûr) qui tente de faire pression pour que tout ce beau monde politicien respecte ses engagements et ne commette pas l’irréparable. Rassemblements et manifs ce soir à 18h.

  2. Merci Joséphine pour l’analyse du paysage politique français aujourd’hui. Vous osez faire part de votre opinion à l’époque où la moindre parole publique provoque des polémiques et j’admire cette témérité. Mais j’ajouterai que je partage votre vision.

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