[Billet] Syndrome de la page blanche ? Au lendemain des élections législatives qui ont vu l’émergence d’un tripartisme inattendu, avec la constitution de trois blocs politiques au sein du Palais Bourbon, on semble emporté dans un tumulte stérile. Stérile, tant les propositions des uns et des autres se limitent à une idéologie programmatique, avec pour vue la présidentielle de 2027.
Par Zoé Cadiot
Mais vouloir, comme le voudraient certains responsables politiques, enjamber cette dernière élection avec les codes de l’ancien monde est juste périlleux. N’oublions pas que si dans notre région, le Rassemblement national a été fortement contrarié par le Front républicain, dans d’autres régions, comme la Dordogne, il a prospéré. Plus de 10 millions d’électeurs au premier tour. Un chiffre qui nous oblige. Car derrière ces bulletins, il y a des hommes et des femmes qui ont dit leur colère, leur ras-le-bol. Et pas seulement sur des questions d’immigration !
« Ce vote nous oblige »
D’ailleurs au soir du second tour, beaucoup de députés élus ou réélus, portés par un « pacte démocratique », théorisé par un certain Michel Rocard à la fin des années 80 pour faire face à la montée du Front national lors des législatives de 1988, l’ont rappelé : « Ce vote nous oblige ». Habités, disent-ils, de la motivation du vote, à savoir « tout sauf l’extrême droite », bien éloignée d’un vote d’adhésion à la ligne proposée par les candidats en lice. Une fois dit, on pouvait donc penser qu’une page politique allait s’écrire. N’entrions-nous pas d’ailleurs dans une nouvelle « ère politique » comme le scandait dimanche soir le Premier ministre Gabriel Attal, depuis le perron de Matignon, avec les résultats inattendus de ces législatives, marqués par l’arrivée inespérée du Nouveau Front populaire sur la première marche du podium, suivi de peu par Ensemble (parti présidentiel), laissant une pâle troisième place au Rassemblement national, pourtant promis selon les sondages au nirvana.
La ligne rouge !
De retour au Palais Bourbon, ces belles espérances semblent oubliées dans le sillage de la conquête du pouvoir. On assiste à un concert de déclarations plus partisanes que les autres, fermant dans la foulée toute tentative de dialogue, pourtant souhaitée par une majorité de Français. Comment en effet dialoguer, construire une majorité plurielle quand nombre de responsables politiques, que ce soit à droite ou à gauche, ont adopté la stratégie de « la ligne rouge à ne pas franchir » pour éviter de faire un pas vers l’autre. Mais, il est vrai, à leur décharge, que le consensus ne fait pas partie de la Vᵉ République, ni même de notre ADN politique. Aussi depuis dimanche soir, on découvre en cuisine une drôle de tambouille parlementaire. Sous l’œil des caméras, chacun y va de son grain de sel, non pour tenter d’élaborer un jeu consensuel mais bien pour raviver des dissonances afin de décrocher avec l’absence d’une majorité, Matignon et les postes clés de l’Assemblée nationale, attribués par vote le 18 juillet prochain, lors de la séance d’ouverture de la 17ᵉ législature.
Une large coalition
L’enjeu est de taille, mais l’urgence n’est-elle pas ailleurs comme celle de construire une large coalition, voulue par nombre de Français, inquiets de la tournure des événements (74% des Français jugent le pays ingouvernable) et du silence abyssal pendant trois jours d’Emmanuel Macron, artisan de la dissolution. En route pour Washington pour un sommet de l’OTAN, le président de la République s’est finalement adressé aux Français dans une lettre publiée mercredi. Tout en contestant la victoire de la gauche aux législatives (pourvue d’une majorité relative NDLR), avec un « personne ne l’a emporté », le chef de l’État veut apparaitre comme le garant d’une stabilité institutionnelle. Aussi, il défend l’idée d’ « un large rassemblement » avec « les forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines » mais sans LFI et le RN. « Bâtir, écrit-il, une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays ». Et d’ajouter, comme un vœu pieux « les idées et les programmes avant les postes et personnalités ». Et pour cela, poursuit le locataire de l’Élysée qui se présentait volontiers comme le maitre des horloges, « il faut du temps ».
Prendre le temps, son temps comme le sous-entend Emmanuel Macron, est un luxe qui ne nous est peut-être plus permis. Outre l’attente de changement exprimée par des millions d’électeurs, sans compter l’énorme bataillon des abstentionnistes, il y a également la situation économique compliquée comme l’attestent le vote incertain du budget à la rentrée et les tensions politiques internes dans les partis. Aussi, la priorité affichée n’est pas avec « qui » mais « quoi faire ».
Poser la question ainsi bouscule nombre de réflexes pavloviens car pour eux le sujet n’est pas Matignon, ni les postes clés de l’Assemblée, mais bien une feuille de route pour les mois à venir. Conscients de l’absence d’une culture de compromis, ils nous invitent néanmoins à renverser la table… comme ils l’ont fait le 7 juillet. Et donc de s’emparer d’une feuille blanche pour dessiner les cadres d’une coalition consensuelle, comme l’ont déjà imaginé 39 % des Français qui défendent l’idée d’une coalition centrale. Plus facile à dire qu’à faire.