[Billet] par Patrick Communal
Le mode de scrutin d’arrondissement majoritaire à deux tours en vigueur sous la cinquième république est adapté au bipartisme politique qu’on observe par exemple au Royaume Uni (conservateurs et travaillistes) ou aux USA (démocrates et républicains), il a trouvé sa place dans les premières années de la cinquième république quand le mouvement gaulliste était extrêmement puissant et que son chef avait imposé sa dichotomie politique : « moi ou les partis », sous-entendu « moi ou le chaos ». Mais il commence à montrer ses limites démocratiques dès Giscard quand la droite se divise entre gaullistes et libéraux et que les socialistes, lessivés par les guerres coloniales, commencent à se refaire la cerise sous la houlette de François Mitterrand. Dans le meilleur des mondes démocratiques, on rêverait que la représentation parlementaire reflète, au plus près, l’état de l’opinion en laissant une place aux petites formations, faute de quoi, le vide de la représentation institutionnelle conduit à rechercher un terrain d’expression ailleurs, notamment dans la rue, ou à une époque récente, sur les réseaux sociaux tout autant devenus un champ de bataille politique clivant, binaire, violent.
Un compromis avec le pays profond
Nous nous sommes habitués, pendant des dizaines d’années, à ce qu’une formation politique représentant un tiers de l’électorat puisse gouverner le pays sans partage. C’était supportable parce que les formations accédant au pouvoir appartenaient toutes à ce qu’on appelle depuis peu l’arc républicain et parce que les présidents de la République, faute d’être issus, comme une majorité de premiers ministres européens, d’un compromis parlementaire, demeuraient conscients des limites de leur représentativité et développaient leur propre compromis passé implicitement avec le pays profond. Ce compromis implicite propre au régime présidentiel à la française suscitait généralement un sentiment de déception chez des partisans qui avaient l’impression de s’être fait voler une partie de leur victoire ou pire, qui n’hésitaient pas à parler de trahison. Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande ont gouverné le pays comme ça, conscients de ce que des assemblées « godillotes » ne représentaient pas la réalité de l’opinion du pays. Les choses ont changé avec Emmanuel Macron qui a cru, parce qu’il avait siphonné des voix à droite et à gauche pour constituer son bloc central, que sa légitimité institutionnelle et sa légitimité politique se recouvraient spontanément et totalement. C’est de cette illusion qu’est progressivement née la solitude du monarque en son château, entouré de conseillers-courtisans, affrontant, non sans un certain sentiment d’incompréhension, des crises politiques majeures. Le mouvement des gilets jaunes et la protestation contre la réforme des retraites se sont payés cash dans les urnes, au même titre que l’injustice fiscale, la détérioration des services publics, et les déserts médicaux.
Un dispositif fondateur du régime présidentiel
Le mode de scrutin majoritaire s’est tellement imposé dans les esprits comme un dispositif fondateur du régime présidentiel qu’on n’échappe pas à des titres tels que celui que nous offre Magcentre ce lundi matin : « déferlante bleu marine dans le Centre Val de Loire pour les législatives », on a les mêmes métaphores liquides dans toute la presse nationale. Pourquoi ne pas écrire : « les deux tiers du pays s’opposent au rassemblement national » ?
Pouvons-nous donc accepter, sans contestation, qu’un tiers de l’électorat impose à toute la nation un gouvernement d’extrême droite qui n’avait été possible en France que parce que le pays était sous occupation militaire ? Il eut fallu, avant de dissoudre, en revenir à un scrutin proportionnel susceptible de remettre les pendules démocratiques à l’heure. Il ne semble pas que cette question soit prégnante dans les débats politiques des plateaux télé. Quelques hypocrites de haut rang préfèrent fustiger les accords des sociaux-démocrates avec les insoumis quand le système qu’on nous impose n’offre aucune chance de survie à ces derniers sans de telles alliances. Ce type d’argument est, de fait, l’invitation de battus, largement désavoués par le pays, à préférer le Rassemblement national à la mise en œuvre d’un peu de justice sociale, parce que bien sûr, la justice sociale, c’est toujours irresponsable.
Le désistement républicain apparaît aujourd’hui comme la seule bouée de secours démocratique.