Le festival continue sur sa lancée. Institut jeudi soir, Campo Santo vendredi. Et toujours les pianos en ville. Le public au rendez-vous, ou pas… Les genres musicaux sont variés, les lieux inhabituels pour un tel exercice.
Par Bernard Cassat
Lambert. Photo Marie Line Bonneau
Plutot curieux, l’animal entré sur la scène de l’institut jeudi à 20h30 passées. Un masque travaillé en cuir avec des oreilles ou des cornes de gazelle, un corps robuste et des gestes plutot revendicatifs. Qui entame un concert de piano solo ne correspondant pas vraiment à ce look. Impro assez jazzy d’abord, puis des morceaux jouant avec la tradition populaire. De belles balades fortement structurées par des basses importantes, mais aux thèmes inspirés. Kurt Weil, feu son compatriote, pointe parfois son nez. Des tangos chaloupés, des valses énergiques. Lambert, mi homme mi bête, est un pianiste solo doux et très doué. Le public très clairsemé, des fans de l’artiste sans doute, a apprécié.
Shani Diluka. Photo Marie Line Bonneau
Que dire sur la prestation de Shani Diluka en ouverture de la soirée au Campo Santo, sinon que ce n’était pas sa place. Ouvrir le lieu déjà n’était pas simple. Et on ne peut pas proposer un piano solo amplifié. L’électricité salit le son des cordes, annule toute modulation, transforme tout fortissimo en boue tonitruante. Le festival va avoir à se pencher sur la question… Dommage. Shani domine son art, a vraiment une réflexion passionnante sur son instrument, sur la musique répétitive, qu’elle soit de Bach ou de Glass, cite Kerouac et possède cet esprit novateur de ses inspirateurs. Elle a dû souffrir encore plus que le public en ce début de soirée !
Certains producteurs exigeant un contrôle abusif des photos avant publication (pourquoi pas aussi nos articles ?), nous ne sommes pas en mesure d’illustrer les concerts de Fabien Berger et de Zaho de Sagazan. Nos lecteurs trouveront quantité de photos et de vidéos non-contrôlées sur les réseaux sociaux: cherchez l’erreur ?
Ensuite, Flavien Berger a lancé ses machines et ses chansons. Son apparence simple et immédiate cache une richesse, une profondeur qui demande attention et empathie. Ses provocations embusquées derrière ses gentilles et belles mélodies de jeune premier sont enrobées par un accompagnement électro assez classique, mais pas que. Il s’amuse à contredire par le clavier et/ou la voix les boites à rythme, il module des sons de bouche et des paroles percutantes (une série de bling…) et s’amuse à lancer le feu et la glace électrique en même temps. Belle découverte pour beaucoup, satisfaction de cet artiste d’être là, lui qui a un rapport étroit avec Orléans.
Et vint Zaho…
Et puis trois petites gouttes de pluie ont annoncé Zaho, l’étoile montante. D’abord sage, elle a repris ses titres connus, s’installant sur la scène comme chez elle, racontant en quelques mots la fulgurance de sa passion musicale. Son hypersensibilité comme son absence de grand amour. Ce qu’elle chante, justement, en imaginant. Mais aussi en devenant une bête de scène efficace, se déchainant par exemple sur le dernier voyage. Ses répétitions de mots et sa prononciation accentuée de chanteuse au léger vibrato font mouche. Elle emporte le très nombreux public dans ses rythmes dansants. En tombant la veste, elle fait aussi tomber toute retenue et la communication avec le public est directe. Sa voix plutôt grave nous entraîne au dessus des nuages, le public chante, le public danse et Zaho mène son show sur un rythme d’enfer, transformant le Campo Santo en immense boite de nuit. Elle se déchaîne sur le mot « danse », descend dans le public. Un très grand moment d’un petit bout de femme de 24 ans à l’énergie incroyable, qui, rappelée, a refait son Modern Love de Bowie qui avait enflammé le festival de Cannes.
Roberto Negro. Photo JDB
Et retrouver Roberto Negro…
Samedi midi, Roberto Negro a pris possession du piano place du Martroi. On le sait, il a beaucoup joué du jazz, de celui qui vient du blues comme de celui qui flirte avec la musique contemporaine. Et c’est avec sa science de l’impro qu’il nous a emmené dans son voyage. Il sait installer une rumeur des graves qui monte, aux accents quasi religieux d’Arvo Pärt, la main droite ornant constamment le roulement du train qui nous promène dans le piano du vingtième siècle, atteint un rythme obsessionnel, lancé à toute vapeur, pour d’un coup magnifiquement dérailler et se réveiller dans la campagne de Messian, tranquille, avec des chants d’oiseaux et des petites notes précises et joyeuses. Un deuxième moment a exploité l’héritage du père Ligeti, d’abord avec des phrases légères puis là aussi s’amplifiant pour exploser dans un bouquet final exigeant les mains entières, les avant-bras, les coudes sur le clavier. Une heure de piano extraordinaire d’un artiste virtuose mais surtout d’une rare richesse musicale.
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