À Amiens, le 15e festival international de jardins qui se tient dans les hortillonnages, des jardins aquatiques au cœur de la capitale picarde, est toujours un enchantement pour le visiteur.
Vue de l’étang @Yann Monel
Par Bénédicte de Valicourt
En 2010, alors qu’il était directeur de la maison de la culture de la capitale picarde, Gilbert Fillinger a lancé ce qui est devenu le festival international de jardins/ hortillonnages, un événement paysager et artistique. Celui-ci a naturellement pris place en plein cœur des hortillonnages, un dédale verdoyant de canaux (les « rieux »), d’îles et d’îlots parfois reliés entre eux, unique en son genre aux portes de la ville. C’est précisément là que le festival s’est installé durablement.
Une incontestable réussite
Cette année, le jury a sélectionné 7 jardins, 5 installations de plasticiens et deux projets étudiants de l’UFR des Arts-université de Picardie Jules Verne. Sans compter les 36 œuvres des éditions précédentes dispersés sur 22 parcelles et îlots de l’île aux Fagots ou de l’étang de Clermont. C’est une incontestable réussite artistique et écologique qui, au passage, a permis au fil du temps de préserver une partie de l’écosystème et la consolidation des berges de cet exceptionnel et fragile dédale d’eau et de verdure de 300 hectares gagné par les romains sur les anciens marais et cultivé depuis le Moyen Âge par de nombreux maraichers qui envoyaient leurs légumes jusqu’à Paris. Il en reste 7 qui travaillent 8 hectares. Le reste de ces curieux jardins flottants, où certaines îles ne tiennent que par les racines des arbres, sont devenus au fil du temps l’aire de « jeu favorite » d’environ 2 000 propriétaires amiénois. Ils y ont construit de drôles de petites cabanes de tous les styles, plus ou moins bien entretenues aux jardins parfois tirés au cordeau et décorés de tout un bric-à-brac hétéroclite. Ils y viennent pour se reposer, pêcher ou chasser la nuit le gibier d’eau. Les œuvres ont investi des parcelles plus ou moins abandonnées rachetées par la métropole. D’autres ont été installées sur des îlots prêtés par des particuliers. « La thématique c’est le site et ses contraintes. Il n’y a pas d’électricité et il faut entre autres tout transporter en barque et à bras d’hommes », explique Gilbert Fillinger qui anime toujours le festival porté par l’association « Art & jardins » crée en 2017 par la région Hauts-de-France et a également élaboré le chemin des Jardins de la paix dans la région, lancé une itinérance paysagère le long du fleuve Somme et valorisé l’histoire du bassin minier avec des jardins participatifs et citoyens-. Pas vraiment de tout repos pour les artistes tenus à s’adapter et à dialoguer avec les lieux.
Un rieu @BDV
Pour le visiteur c’est beaucoup plus simple. Il n’a qu’à se promener à pied sur l’île aux Fagots ou en barque à fond plat et moteur électrique silencieux sur l’étang de Clermont. Une balade poétique et bucolique d’île en île au fil de l’eau. Au passage on croise un maraîcher ou un pêcheur sur sa bruyante barque traditionnelle à cornet, à la proue spécialement conçue pour ne pas abîmer les rives. Mais déjà il faut s’amarrer sur un ponton aux berges herbeuses, entre les bosquets, les clairières ou les jardins. Qu’allons-nous découvrir derrière ces belles futaies à travers lesquelles la lumière filtre doucement ? Surprise, surprise… Nous sommes vraiment ailleurs.
En pratique
- Parcours à pied sur l’île aux Fagots, entrée gratuite, accès via le 43 chemin de halage à Amiens à 10 minutes de la gare de 12h30 à 19h.
- En barque de 1 et 6 personnes. Ou par groupes de 10. Étang de Clermont, Port à fumier, sur réservation. Embarquement sur les 24 barques en bois à moteur électrique au 35 rue Roger Allou à Camon. Durée maximale : 2h30. Chacun conduit et fait la balade à son rythme en accostant d’îlot en îlot.
Le top 6 des œuvres
- Extractions de Sarah Ritter.
L’artiste française travaille depuis plusieurs années sur les liens entre l’extraction des minerais et l’extraction de données par les scientifiques. Son installation semi-aérienne et très belle est fortement inspirée par les hortillonnages entourés d’eau et de canaux. Dans un beau mix entre le paysage réel, – un charmant petit bois de bouleaux planté là quelques années auparavant pour les besoins d’un œuvre d’un autre artiste – et un paysage rêvé.
Extraction @ BDV
La fin d’après-midi d’Odysseas Yannikouris, plasticien, France. L’œuvre située sur l’ile de la Pépinière où l’on peut pique-niquer capte l’énergie de la lumière à travers des dispositifs optiques plus ou moins transparents à travers lesquels passe la lumière de fin d’après-midi. Celle-ci est renvoyée au-dessous de l’horizon de la végétation. Une ode spectaculaire à la lumière.
Un jardin à l’ouest. La fin d’après-midi, Odyesseas YIANNIKOURIS – ©Odysseas Yiannikouris
- What floats de Kihan Kim, architecte paysagiste coréen.
L’œuvre immergée renvoie à la beauté éphémère des hortillonnages dont on est invités à redécouvrir les qualités esthétiques et naturelles. L’installation se compose de trois anneaux métalliques de 6 mètres de diamètre flottant dans lesquels poussent des lentilles d’eau. Une plante aquatique qui dans le bouddhisme représente une existence vagabonde et intemporelle, tels les nuages qui dérivent avec le vent. Comme une métaphore de la vie où tout est impermanence.
What Floats, Kihan KIM – ©Kihan Kim
- Akpaku de Kokou Ferdinand Makouvia, un plasticien togolais.
Akpaku c’est la calebasse en Ewé, une langue du sud du Togo. Elle symbolise le monde invisible et sert à conserver des décisions sacrées. Comme cette œuvre en céramique qui convoque les ancêtres des lieux pour réfléchir à la préservation de cet environnement et à son identité. L’artiste a récupéré de petits objets autour du site et collecté des souvenirs chez les habitants qu’il a enfermé dans la calebasse, un noyau central et sacré entouré de murs protecteurs en céramique blanche telle une métaphore des laitues et du maraîchage qui a longtemps marqué ce lieu. Au passage le visiteur est invité à participer au rituel en jetant une poignée de terre à côté de l’installation.
Akpaku @BDV 6
- Céramophone de Lana Ruellan & Baptiste Roger.
Le visiteur est invité à manipuler de drôles de bras qui se prolongent par des céramiques qui plongent dans l’eau et produisent de beaux sons parfaitement orchestrés par un musicien qui s’échappent par les côtés. Juste et poétique en ce lieu si verdoyant.
Céramophones, Lana RUELLAN & Baptiste ROGER ©A&J_HDF ©Yann Monel
- Aquatique Archisculpteurs Vincent Bredif, Julien Fajardo, architecte, sculpteur.
Derrière une haie de cyprès, Aquatique, sorte d’accord entre architectures et sculpture, interroge notre mode d’habiter. Objectif : être dans le paysage, être le paysage.
Carnet de route
Festival international de jardins Hortillonnages Amiens, du 14 juillet au 13 octobre 2024. Informations et réservations sur artetjardins-hdf.com ou par téléphone au 06 78 53 55 92
www.amiens-tourisme.com
Se loger
Hôtel Le Prieuré (3 étoiles). Certaines chambres ont des vues sur la cathédrale, juste à côté. Décoration contemporaine et accueil très sympa. www.hotel-prieure-amiens.com
Manger
–Les Orfèvres, un gastronomique pas trop cher et délicieux. 14 rue orfèvres. Tel. : 03 22 92 36 01.
-Le Quai, quai Bélu : l’une des adresses les plus populaires de la ville. Cuisine et déco contemporaines, sur deux étages avec terrasse au bord de l’eau. www.restaurant-le-quai.com
-La Brasserie Jules, Agréable ambiance brasserie près de la gare. 18 Bd Alsace Lorraine. Tél. : 03 22 71 18 40.
Y aller
-Une heure en train depuis Paris-Nord.
Rendez-vous ? pour une autre balade artistique le long des berges de la Somme