Le Canada emploie de nombreux travailleurs étrangers, temporaires, isolés, sous des contrats réglementés. Pier-Philippe Chevigny connait bien le système, et a voulu le dénoncer. Son film très dur suit une traductrice qui aurait dû servir le patron mais qui passe du côté des Guatémaltèques qu’elle est censée contrôler. Sa dissidence, belle position morale, la mène à l’échec.
Ariane Castellanos, la traductrice. Photo Les Alchimistes.
Par Bernard Cassat
Très impliqué dans le sujet des travailleurs étrangers au Québec, Pier-Philippe Chevigny s’est intéressé au mécanisme du gouvernement fédéral canadien qui permet aux entreprises d’importer de la main-d’œuvre de différents pays du tiers-monde avec lesquels le Canada a des ententes diplomatiques. Il a déjà réalisé plusieurs courts-métrages, dont un sur les femmes philippines qui travaillent chez les riches Québécois.
Le travail des Guatémaltèques. Photo Les Alchimistes
Dans « Dissidente », il se penche sur le sort de Guatémaltèques employés à Richelieu, une vaste région agricole, garde-manger dédié à l’industrie de la transformation alimentaire. Qui est aussi sa région d’origine. « Importés » pour une période temporaire, des « Guats » comme les appellent les locaux sont chargés de dégager à la pelle des bondes pleines de barbes de maïs. Pour faciliter les rapports de travail entre eux et la direction, l’usine embauche une traductrice, Ariane. Le film nous montre sa découverte des incroyables conditions d’exploitation de ces hommes.
Une lutte patrons/travailleurs qui ne laisse pas le choix
Le tableau dressé par le réalisateur est très noir, même s’il explique avoir voulu nuancer les rôles, que le directeur d’usine, par exemple, ne soit pas d’emblée perçu comme un exploiteur sans cœur. Et effectivement, on sent la tension que le grand patron ne cesse de créer au-dessus de lui. Pourtant, on a du mal à s’apitoyer sur son sort ! Car le scénario se construit sur une lutte à deux camps. Et c’est justement cela qu’Ariane refuse. Elle voudrait aider les Guatémaltèques, mais sa propre histoire la coince dans un rôle qui la heurte.
Elle vit avec sa mère, ancienne DRH. Et on apprend petit à petit qu’elle a un père guatémaltèque qu’elle n’a jamais connu. Avec en plus une histoire passée avec un compagnon actuellement en prison. Par ailleurs, elle veut essayer de garder sa maison. Donc, évidemment, a besoin de son travail. Ariane Castellanos dans ce rôle de traductrice est très convaincante. Elle fait passer à la fois son empathie et la tension de sa position d’entre-deux. Par son jeu naturel, le personnage émeut.
Nelson Coronado dans le rôle de Manuel. Photo Les Alchimistes
Tout le monde est pris dans des contraintes sociales et professionnelles écrasantes. Cet aspect du film, de plus dans une langue qui pour nous est assez rude, un Québécois quasi incompréhensible (et sous-titré), campe une ambiance très tendue. La machine productive se fait esclavagiste. Le scénario, dans sa logique manichéenne, va jusqu’au bout.
Ariane n’empêchera pas le système de briser ces hommes, ni de lui faire perdre son boulot. L’équipe dirigeante la considère comme une dissidente. Mais elle sauve un homme qui, sans elle, serait mort.
Une incroyable manipulation de forces de travail
Film de fiction mis en scène de manière très réaliste, Dissidente a un côté documentaire sur le monde du travail. La parfaite connaissance du système des travailleurs étrangers de Pier Philippe Chevigny lui permet de transmettre cette incroyable manipulation humaine. Mais de même qu’Ariane n’a pas su, de par son caractère trop généreux, arranger la situation, de même le réalisateur, en mélangeant fiction et réalité, regard politique et développements affectifs, perd de vue sa volonté de nuance et reste dans une dénonciation tranchante du système. Il se veut à la fois militant et romancier. Mais aucune romance n’atténuera la noirceur des manipulations humaines de la production industrielle.
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