Sophie Galabru : « Il ne suffit pas de naître dans une famille pour faire famille »

Dans son dernier ouvrage, « Faire famille », Sophie Galabru, agrégée, docteure en philosophie, examine les relations familiales entre amour, violence et secrets. S’appuyant sur son vécu, ses références culturelles, philosophiques et études sociologiques, elle propose des pistes pour réinventer les liens familiaux.

Sophie Galabru était au lycée Jean Zay pour parler famille le 14 mai dernier. Photo Asma Bouamama


Par Asma Bouamama


« Il ne suffit pas de naître dans une famille pour faire famille ». C’est à partir de cette idée que Sophie Galabru a travaillé sur le concept de « faire famille », et qui a donné naissance à un nouvel ouvrage qui porte ce même titre. Dans ce livre, la philosophe, docteure et agrégée tente de formaliser les concepts autour desquels une famille s’articule, se déchire, se constitue et se renouvelle. L’auteure est venue le 14 mai au lycée Jean Zay présenter une conférence autour de son nouveau livre à l’association Philomania.

À une époque où un quart des familles sont monoparentales et où 44% des violences en tout genre sont commises au sein des familles, Sophie Galabru a tenté dans ce second ouvrage d’enquêter sur ce qui caractérise une famille. Si « les liens du sang ne sont pas déterminants » comme elle le dit, la famille est plutôt un endroit qui s’organise autour de liens affectifs et sécurisants dans un projet commun qui consiste en un but de bonheur ensemble, de respect et de transmission.

Entre philosophie et psychanalyse

Sophie Galabru interroge particulièrement la violence dans les familles, les déchirements et les transmissions de non-dits et de secrets qui gangrènent le groupe. Elle s’est beaucoup inspirée pour l’écriture de ce livre de la psychanalyse, notamment de Serge Tisseron qui a travaillé autour des héritages encryptés et comment ils se manifestent par-delà la conscience du groupe, sur les colères qui sont parfois longtemps contenues par la famille. Sophie Galabru explore la façon dont la haine et l’amour organisent les liens familiaux, et la difficulté d’accorder la danse entre les deux sentiments qui peuvent rester à l’état de passions dangereuses. Elle fait référence au concept de l’éminent psychanalyste, Jacques Lacan, qui investit le terme de « hainamoration » pour illustrer combien la haine et l’amour s’intriquent toujours et particulièrement dans les familles, pour le meilleur quand les deux sentiments se diluent l’un dans l’autre, ou pour le pire dans d’autres cas marqués par des drames qui touchent un membre ou plusieurs d’une famille.

L’inspiration de l’anthropologie

Elle s’inspire et cite également l’anthropologue Lévi-Strauss, et adhère à son constat qui affirmait que ce qui soutient une famille et le bon vivre-ensemble, c’est l’exogamie, c’est-à-dire le respect de la nécessité vitale de chacun à sortir du groupe pour aller vers le monde extérieur. Faire famille c’est travailler à respecter l’espace personnel de chaque membre tout en investissant un projet collectif. Même si la famille est par nature injuste, asymétrique et paradoxale car elle prend racine dans un hasard génétique, une loterie d’inconnus, qui commencent par contraindre des individus à vivre ensemble et à s’aimer alors même qu’ils ne se connaissent pas et ne se sont pas choisis. Et asymétrique car la place de l’enfant est toujours en position de vulnérabilité et de dépendance vis-à-vis de l’adulte.

S’individualiser et se séparer sont des concepts qui ont mené le travail de Sophie Galabru, pour en venir à des constats que la famille est l’apprentissage de la coexistence, et que le bon vivre d’une famille doit s’organiser autour de l’acceptation d’un délitement permanent, d’une liberté à partir et revenir, à se séparer et à se renouveler pour se reformer. Si parfois la colère est une ressource pour se séparer de liens malades, l’amour facilite la séparation. Comme dirait le psychiatre Paul-Claude Racamier dans son travail autour du deuil originaire. « C’est aux liens réussis que l’on renonce le mieux ». Toutes ces idées autour du concept de la famille à l’époque moderne sont explorées en détails dans son livre sorti en octobre 2023.

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