Avis médicaux sur la proposition de loi « fin de vie »

Le projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » est en première lecture à partir de ce lundi 13 mai. Nos deux rédacteurs médecins, généraliste retraité pour le premier et ancien chef du service d’endocrinologie de l’hôpital d’Orléans pour le second, nous donnent leurs avis sur certains éléments de cette future loi.

Assemblée nationale


Propos recueillis par Maël Petit



Aider à mourir, est-ce encore un soin ?

Dr Briand : Un soin a normalement pour but de rétablir la santé ou d’assurer un mieux-être. Dans cette acceptation, l’aide active à mourir est donc exclue. Il est probable qu’avec le temps, la loi modifie les esprits et fasse évoluer cette notion du « soin ». L’aide à mourir deviendra « le soin ultime ».

Dr Emy : L’aide à mourir est un terme un peu hypocrite pour éviter d’utiliser « suicide assisté » ou « euthanasie ». Elle signifie plutôt « faire mourir ». Autrement dit, la mort est-elle encore un soin ? L’Académie de médecine définit le soin comme « un ensemble de mesures et actes visant à faire bénéficier une personne des moyens diagnostic et de traitement lui permettant d’améliorer et maintenir sa santé physique et mentale ». Rien à voir avec l’aide à mourir. On pourrait plutôt s’accorder sur des mesures qui préviendraient le « mal mourir » et exiger un « bien mourir ».

Qu’est-ce qu’une souffrance insupportable ? Comment définir le « moyen terme » ?

Dr Briand : Ces indéterminations font partie des faiblesses du projet de loi. Il faut espérer que les députés, aidés par la Haute Autorité de Santé (HAS), apporteront des précisions. Puisque la loi stipule qu’il faut respecter l’autonomie de la personne, pourquoi les volontés du malade ou ses « directives anticipées » ne seraient-elles pas les seuls éléments à prendre en compte pour déterminer le terme de sa vie ou admettre ce qui lui est insupportable ?

Dr Emy : Avec les thérapeutiques médicamenteuses il n’est plus acceptable de ne pas soulager les souffrances physiques et morales, à condition de faire appel à un personnel qualifié regroupé dans les unités de soins palliatifs, à domicile ou à l’hôpital. Malheureusement ces structures sont en nombre très insuffisant sur le territoire français.

L’évaluation de la durée de temps qui reste à vivre n’est pas quantifiable avec précision et dépend certes du pronostic médical mais aussi de la volonté de vivre. Des conditions de prise en charge bienveillantes, techniques, en accord avec le patient et son entourage, permettent parfois de prolonger la vie avec sérénité et apaisement.

Est-ce bien cohérent qu’une clause de conscience existe uniquement pour les médecins ?

Dr Briand : Le pouvoir médical a toujours su se protéger. Néanmoins ce sont les médecins qui d’après la future loi vont superviser l’aide active à mourir : il semble donc normal qu’ils puissent refuser d’y participer. Cette clause de conscience permettra également aux personnes voulant une aide à mourir de connaître les praticiens qui accepteront de les assister sans réticence.

Dr Emy : La clause de conscience est, me paraît-il, comme dans la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, indispensable. Mais si la loi prévoit que l’administration d’une substance létale prescrite par un médecin puisse être réalisée par un infirmier, alors la clause doit pouvoir s’appliquer à ce professionnel de santé. Il s’agit aussi pour lui d’une coopération à un suicide.

Faut-il faire évoluer le serment d’Hippocrate ?

Dr Briand : Dans le serment d’Hippocrate, il est dit : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». Certains médecins considèrent que celui qui aide un malade ayant demandé à mourir sans souffrance ne tue pas « délibérément » et respecte son serment. Pour d’autres praticiens, cette analyse est inacceptable. C’est un problème d’interprétation individuelle, aussi il n’y a pas lieu de changer le Serment d’Hippocrate.

Dr Emy : Non, c’est l’affaire de chacun. Il faut sortir de l’ambiguïté, appeler un chat un chat. La société évolue. La loi devrait pouvoir proposer un protocole d’une mort médicalisée assumée par le monde médical.

Pourquoi la mort par suicide assisté ne serait permise qu’à la personne malade ?

Dr Briand : J’ai le sentiment que c’est pour obtenir un large consensus que le projet de loi se restreint aux seuls malades adultes et conscients. Probablement, avec le temps, comme en Belgique ou aux Pays-Bas, son périmètre d’application s’élargira de plus en plus. La question est de savoir si ces évolutions seront de délétères dérives éthiques ou des progrès humanistes…

Dr Emy : Si on n’est pas un malade en fin de vie : soit on se suicide seul, soit celui qui favorise le suicide commet un acte condamnable. Étendre la loi, c’est la porte ouverte à toutes les dérives. Rappelons-nous, entre autres, de l’euthanasie pratiquée par les nazis, de 1939 à août 1941, afin d’exterminer des handicapés physiques et mentaux, qui en période de crise économique coûtent trop chers !


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  1. Le pouvoir politique lié aux composantes les plus rétrogrades du corps médical et du monde religieux freine des quatre fers en inventant sans cesse des arguments qui sont pourtant balayés par les expériences vécues dans de nombreux autres pays.

  2. En reconnaissant que l’être humain est en droit de disposer de son corps et ce y compris en décidant de cesser de vivre nous ferons un grand pas de conscience de soi et donc deviendrons un peu plus encore responsable et de nous-même et envers les autres.
    Mais ceci va évidemment à l’encontre d’une vision de l’être humain où il est dépendant d’un supérieur ( qu’il soit divin (une divinité) ou humain ( un chef), vision qui nous maintient dans la servitude.
    Le reste : ces discussions “à en mourir d’ennui” ne font que retarder le moment où chaque être humain se sera libéré de la culpabilité et de la crainte de la mort dont, pour Epicure , nous n’avons rien à craindre puisque décédés nous ne ressentons plus rien.

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