On s’en souvient encore, il y a trois semaines, le groupuscule identitaire Des Tours et Des Lys proposait une conférence à ses militants, entre deux séances d’entraînements à la boxe – forcément française – et de collage de stickers vaguement royalistes dans les beaux quartiers.
Par Joséphine
C’est un néo-fasciste italien qui était invité à s’exprimer, cette fois-ci sur les années de plomb, « guerre civile [qui] vit toute une jeunesse enflammée continuer le combat malgré les assassinats commis par les communistes, les bassesses de la presse marxiste et la complicité de l’État » écrivaient les organisateurs sur Facebook. Et notre conférencier sait de quoi il parle, lui qui a été impliqué dans un attentat à la bombe à Bologne dans les années 1980 avant de fuir la justice de son pays en se réfugiant en France. Comme régulièrement, la délicieuse soirée se tenait à la brasserie Le Saint Germain, en plein centre de Tours, mais cette fois, à l’appel de différents collectifs antifascistes, un rassemblement de protestation a eu lieu devant l’établissement et, selon des témoins, après la dispersion de la manifestation, quelques individus sont venus casser les vitrines de la brasserie. Du reste, prévenus, les organisateurs ont pu tout de même délocaliser la conférence non loin de là.
Droite et verre cassé
Dans les jours qui ont suivi, nombre de politiciens de la droite locale ont clamé leur soutien au commerçant, appelant les citoyens à aller déjeuner sur place en signe de résistance, dépolitisant l’événement et le réduisant à une action gratuite et barbare de casseurs ennemis de la liberté d’expression. Et ce, alors que quelques commentateurs cazeneuvistes en mal d’espace politique, tentaient de récupérer eux aussi l’épisode pour montrer la barbarie de l’extrême gauche, continuant l’inlassable storytelling ambiant qui entend renvoyer dos à dos les extrêmes pour tenter de sauver le soldat centriste, procédé favori des Macronistes, de Glucksmann et d’une partie du PS contre LFI, forcément ultra-radicale, forcément en dehors de l’arc républicain, forcément pas loin lorsqu’il y a de la casse.
Rien de bien original ni de bien brillant, juste cynique tout au plus, c’est vrai. Sauf que nos Jean Moulin du steak-frites semblent avoir fait l’impasse sur ceux qu’ils défendent également par ricochet.
La jeunesse en marche
Car Des Tours et Des Lys n’est pas franchement ce que l’on pourrait appeler République-friendly. Prenons un de leurs posts récents sur les réseaux, qui résume avec lyrisme la dernière excursion du petit groupe : « Après une journée de marche à arpenter les vignes et la forêt, nous nous sommes rassemblés le soir autour du feu pour un cercle de lecture sur le livre de Karl Höffkes « Wandervögel – Révolte contre l’esprit bourgeois » et la présentation de ce mouvement qui souhaita emmener la jeunesse allemande loin de l’urbanisation, de la marchandisation et du consumérisme pour la faire renouer avec l’inconfort de la nature dans un esprit de joyeuse camaraderie. Cette sortie fut l’occasion de renforcer la cohésion entre nos militants et de trouver le lien qui nous rattache en tant qu’européens, français et tourangeaux à la terre de nos ancêtres ». Revigorante expérience plus sympathique qu’une séance à Basic Fit, direz-vous ? Pas que.
Les drôles de références des amoureux de la rando
En fait, Karl Höffkes, la star des soirées feu-de-camp qui inspire tant nos jeunes en bonne santé, gagne à être connu. À 70 ans, cet auteur, éditeur et propriétaire de médias est une grande figure de l’extrême droite européenne et collectionneur réputé d’archives rares, photos, films et témoignages de la période nazie, documents dont il fait d’ailleurs commerce avec une de ses sociétés. Engagé dès sa jeunesse dans des mouvements de la Nouvelle Droite allemande, païenne, anticapitaliste, antimoderniste, nationaliste, identitaire et révolutionnaire, Höffkes sort depuis quarante ans des magazines politiques et édite pas mal de bouquins, publiant notamment des auteurs nazis ou des entretiens avec des proches de Hitler, des anciens SS ou des officiers de la Wehrmacht. Également proche des milieux révisionnistes et négationnistes, il s’affiche avec David Irving et des cadres du mouvement néonazi européen dans les années 90. Höffkes va même jusqu’à rencontrer en 2012 le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, réputé pour son antisémitisme et son refus de reconnaître l’Holocauste, lors d’un surprenant voyage organisé par des islamistes allemands… Depuis quinze ans, l’âme moins voyageuse, Höffkes se spécialise dans le documentaire, offrant un joli panel de sujets : Hess, Himmler, Eva Braun, les chars ou la marine allemande, les Jeunesses hitlériennes… un tribunal allemand a d’ailleurs reconnu le rôle de Höffkes dans l’émergence d’un culte voué à Rudolf Hess, proche parmi les proches de Hitler.
En France, Höffkes a été traduit et publié par les éditions Pardès – spécialisées dans l’ésotérisme, les Vikings et la révolution conservatrice allemande – et par Les Amis de la Culture Européenne qui ressortent les impérissables ouvrages du créateur des Chantiers de Jeunesse sous Vichy, également amoureux de marche, de chants patriotiques, de culture antique et de mouvements de jeunesse allemands dont ils vendent de charmantes cartes postales vintage. Le livre de Höffkes évoqué par nos amoureux de la randonnée peut être d’ailleurs acheté en ligne sur boutique-des-nationalistes.fr où l’on pourra compléter son panier avec du Brasillach ou du Degrelle, si ce n’est avec quelques goodies de la division Charlemagne ou un buste du Maréchal Pétain de 16 kilos, attention tout de même aux frais de port.
L’union des droites
Loin d’être un épisode isolé à Tours, depuis 20 ans, des groupuscules d’extrême droite organisent rassemblements, défilés aux flambeaux, coups de pression et campagnes d’affichages, rejoints parfois par leurs camarades d’Angers ou d’Orléans, notamment lors des manifestations anti vaccin plusieurs samedis d’affilée en 2021. Et plus largement, on voit la droite locale flirter de plus en plus avec les discours musclés quand elle ne rejoint pas directement les rangs du RN ou de Reconquête, comme les anciens adjoints du maire Serge Babary, Lionel Béjeau et Françoise Amiot.
Bref, je m’égare, solidarité avec les vitrines de la brasserie, c’est bien là l’essentiel de la séquence.