L’université de Californie vient de restaurer un film de David Schickele, cinéaste resté dans l’ombre. D’une modernité incroyable, cette œuvre de 1972 met en scène Paul Okpokam dans un rôle proche de sa vie véritable. D’autant que la réalité prendra le dessus pour terminer le film. Un magnifique travail de cinéma qui sort avec bonheur de cinquante ans d’oubli !
Paul Eyam Nzie Okpokam. Capture du teaser.
Par Bernard Cassat
David Schickele, artiste américain (musicien au départ), est parti au Nigeria vers 27 ans avec le Peace Corps. C’est une période dorée du Nigeria, libéré en 62. David enseigne, mais surtout rencontre des gens, dont Paul Eyam Nzie Okpokam qu’il fait tourner dans un documentaire pour l’agence, Give Me a Riddle (1966). Puis il revient à San Francisco, sa ville de départ. Années troubles, autour de 68. Guerre du Vietnam et émeutes raciales. On se souvient des incendies de Watts en 65, le quartier noir de San Francisco.
À cause de la guerre civile qui éclate au Nigéria en 67, son ami noir vient enseigner à San Francisco. Expérience inverse de David au Nigeria. À travers, et certainement en accord avec, Paul qui devient Gabriel dans le scénario que monte David, ils construisent un réquisitoire contre ce pays qui commence à basculer, à perdre de sa puissance.
Dans le bistro, avec sa sœur nigériane. Capture du teaser.
Bushman parle beaucoup, mais surtout montre, dans une sorte d’urgence à filmer totalement contrôlée. Le début est un vrai moment de bravoure cinématographique. Gabriel, pieds nus sur le goudron avec ses baskets sur la tête, marche dans un paysage post-industriel entièrement déglingué. Image visuelle forte et magnifique, mais aussi pleine de sens et de thèmes très présents dans la contre-culture de cette époque. Et lorsqu’il arrive sur une route, il se fait prendre en stop par un biker un peu allumé. Qui lui demande comment il peut résister aux seins nus des filles qui se promènent dans son pays. Les clichés deviennent racistes, même chez les gentils hippies.
Comme dans un film de la nouvelle vague. Capture du teaser.
Plein d’autres moments relèvent d’une recherche expérimentale. Des très gros plans de visages par exemple remplacent des scènes d’amour. Ou une danse de la sœur nigériane dans un bistro dont elle a la clé, scène très nouvelle vague sur une chanson soul. Très moderne et dans l’air du temps, aussi, cette errance urbaine, comme si David filmait un docu. D’ailleurs à un moment, un jeune noir (acteur ou non ?) passe devant la caméra et fait de grands signes de main.
La violence des années 70, qui reste d’actualité
Autre séquence remarquable, introduite par quelques mots de Gabriel, un Black Panther s’entraine, ou joue avec un pistolet sur un terrain vague. On ne sait pas trop si c’est un acteur, donc un jeu, ou un vrai militant. Mais ces images saisissent aussi la violence de cette période.
Après avoir lu une annonce, Gabriel va à l’adresse indiquée et là se déroule une séquence incroyable chez un hippy friqué joué par Jack Nance, qui tournera ensuite avec David Lynch. Homo et dandy, il permet à Gabriel de raconter comment les prêtres se sont servis des petits garçons en Afrique. Car le film dénonce aussi par le discours.
Attaché dans la fiction, renvoyé dans la réalité. Capture du teaser.
Et puis il y a aussi tout le contexte de 1970, les revendications des Droits et la contestation de la guerre du Vietnam. C’est d’ailleurs à ce propos que le film va tout d’un coup changer de statut, et devenir un docu-drame. Gabriel, ou plutôt Paul, se fait arrêter par la police au cours d’une manif sur le campus. On l’accuse ridiculement de détenir une bombe. Une machination comme sait en monter la police, qui va le conduire rapidement en prison, puis être renvoyé d’autorité dans son pays. Le scénario de David avait prévu une fin de ce genre, mais la réalité l’a pris de court.
Portrait d’un homme mais aussi film d’une génération
Bushman, notamment pour ce final mais aussi par plein d’autres qualités, est une curiosité magnifique. Formellement tenu, inventif, il est aussi une violente contestation argumentée contre l’Amérique maître du monde. Et surtout un magnifique portrait d’un Nigérian, Paul. Il crève l’écran, parfaitement à l’aise dans l’errance de ce personnage incarnant l’autre à jamais, l’autre toujours seul, l’autre toujours en butte au racisme, au rejet, même parfois de ses semblables. Comme quoi l’expérience des Peace Corps n’a pas suffi à rapprocher les peuples !
Passé dans de nombreux festivals, dont le Chicago Film International où il a obtenu le prix du premier film, Bushman n’a pas eu de diffusion en salles. Collecté par l’Université de Californie Berkeley Pacific Film Archive, il vient d’être restauré par l’université de Californie et le Berkeley Art Museum.