Nicolas Philibert : réparer les objets pour réparer les gens

Nicolas Philibert, que nous avions rencontré pour la sortie de Sur l’Adamant, sort le troisième volet de sa fresque sur la psychiatrie du Pôle Paris-Centre. Documentariste chevronné et connaissant bien ce domaine, il aborde les gens en difficulté avec beaucoup de tact et sa caméra empathique restitue les méthodes de ce pôle médical. Un travail émouvant qui questionne le regard que l’on porte sur ceux qu’on appelle fous.

Un atelier cuisine sur l’Adamant. Photo Les films du Losange.



Par Bernard Cassat


Troisième volet d’un triptyque plus que d’une trilogie, comme il l’a expliqué après le film, La machine à écrire et autres sources de tracas de Nicolas Philibert suit deux intervenants qui vont aider les gens chez eux. Certains ont un problème tout bête : une machine à écrire qui ne marche plus, un lecteur cd duquel ne sort aucun son. Des pannes qui rendent la vie infernale. Et pour les deux « réparateurs », c’est l’occasion non seulement de réparer, mais aussi de discuter. Parce que pour tous ces gens suivis par l’hôpital psychiatrique, la parole est un remède primordial pour rester à flot. Parler de leurs peurs, de leurs craintes, de leur propre cas, de leurs dysfonctionnements, parler de tout et de rien aussi. Parler, mais aussi, et c’est là que Philibert trouve un rôle important, être écouté. Que leur parole soit prise au sérieux. Et il est très rare de voir, sur un écran de cinéma, des gens considérés comme « dérangés » exposer aussi clairement, aussi simplement, aussi directement leur mal-être !

Sur l’Adamant, on fait les comptes de la cafétéria. Photo Les Films du Losange.


Ce triptyque (Sur l’Adamant, Averroès et Rosa Parks, La machine à écrire) approche le monde de la psychiatrie par trois entrées, toutes développées par le Pôle psychiatrique Paris-Centre. L’Adamant est une péniche qui propose au public suivi par le Pôle des ateliers, des réunions d’intérêt, des activités menées par des spécialistes. Y viennent ceux qui en ont envie, c’est un hôpital de jour. Les séquences filmées par Philibert sont soit collectives, soit des discussions directes avec les gens présents.

Averroès, une réunion de groupe. Photo les Films du Losange.


Averroès et Rosa Parks sont des unités d’hospitalisation dans l’hôpital de Saint-Maurice de Charenton, immense structure hospitalière complète dont la psychiatrie n’est qu’une partie. Le film ici tente de saisir à la fois le côté des patients et des soignants, leurs relations. On assiste à des entretiens, des séances individuelles de malades, pour certains en grande détresse, on (Philibert comme le spectateur) saisit toute la profondeur de l’écoute et la difficulté d’y répondre. Cette institution utilise aussi des médicaments mais la parole est le premier guide. La parole, c’est la relation humaine, celle qui place deux personnes au même niveau pour échanger. Ce que la caméra saisit à ce niveau est à la fois sidérant, profond, enthousiasmant, perturbant aussi tant certaines douleurs sont profondes.

La machine à écrire, et autres sources de tracas. Photo Les Films du Losange.


La machine à écrire enregistre surtout l’aide importante que les deux soignants apportent à six personnes vivant dans des structures extérieures à l’hôpital. C’est vraiment du reportage direct. Le réalisateur capte la rencontre et la reproduit telle quelle, sans montage, juste quelques coupures obligatoires pour le timing. Les « aidés » nous apparaissent sous un jour plus quotidien, plus banal. Avec des figures exceptionnelles, comme Fred Prieur, un homme d’une cinquantaine d’années avec un passé d’artiste impressionnant comme la culture qui l’habite.

Les trois parties peuvent se voir indépendamment. Ce triptyque de Nicolas Philibert, travail documentaire exceptionnel d’intelligence, de profondeur et de transmission empathique, s’impose par son ampleur et la justesse de positionnement du cinéaste, qui a su à chaque fois trouver sa place auprès de ces personnes pour aller chercher leur humanité en respectant leur profonde différence.

Nicolas Philibert a présenté “La machine à écrire et autres sources de tracas” au cinéma les Carmes le samedi 13 avril.

Nicolas Philibert aux Carmes. Photo Les Carmes.

Une belle salle est venue assister à la projection et la discussion qui a suivi a été riche et passionnante. Nicolas Philibert a expliqué les conditions de tournage, la toute petite équipe, les rapports préalables avec les filmés. Il a parlé aussi de la psychiatrie en général. « Les schizophrènes ne sont pas rentables », constate-t-il. Donc ils sont souvent abreuvés de médicaments pour les calmer. « Pour Paris Centre, les fous ne sont pas des idiots », insiste-t-il pour bien marquer cette différence. Il a considéré ce milieu « comme une loupe sur le monde ».

Et il a aussi précisé sa position de cinéaste pour ces trois documents. « En général, on dit aux gens filmés, ne regardez pas la caméra, pour que le spectateur ait l’impression d’une fiction. Moi, je leur disais, regardez la caméra. » Et en effet, de longs regards se fixent sur l’objectif, faisant passer une multitude de sens. Il n’y a que dans Averroès et Rosa Parks que la caméra a cherché à se faire discrète, puisque le discours allait vers les soignants et non vers la caméra.

Nicolas Philibert a également rappelé tout son intérêt pour la psychiatrie, qu’il filme depuis les années 90.

Plus d’infos autrement sur Magcentre: [Psychiatrie] Édito : La psychiatrie publique française est malade

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  1. Pour conclure sa trilogie, Nicolas Philibert nous fait sortir du milieu institutionnel, nous voici chez les « soignés » (ici plutôt des personnes à sensibilité artistique) mais, pour autant, le lien demeure n’est pas rompu. Les petits problèmes qui justifie l’intervention des équipes de soignants bricoleurs ne constituent ils pas une forme d’appel face à la difficulté de trouver sa place et d’établir des relations en « milieu social ordinaire » ? L’autonomie demeure très relative, pour certains, l’angoisse reste à la limite su supportable, pour autant ils vivent.

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