Bar à textes : Didier Daeninckx raconte Missak Manouchian

Le prochain Bar à Textes proposé ce vendredi par Tu connais nouvelle donnera la parole à Didier Daeninckx autour de ses dernières œuvres, de ses BD sur Jean Moulin et Manouchian, et à ses chroniques du film noir américain des années 50. L’auteur nous parlera de sa “rencontre” avec le personnage disparu de Missak Manouchian.

Interview de Didier Daeninckx par Ozance

Ozance : Passionné d’Histoire ou des histoires ?

J’ai toujours considéré que c’étaient les figurants qui faisaient l’Histoire. Les héros qui trônent en bronze au centre des places de nos villes ne seraient rien sans les innombrables qui les ont hissés sur leurs fringants destriers.

Je me suis toujours attaché à faire écho à ces vies minuscules trop longtemps confinées au silence. De manière symbolique les premiers chapitres de mon roman “Meurtres pour mémoire” portent le nom d’une des victimes de la répression policière du 17 octobre 1961, et la page du livre, avec ce nom en haut, forme une sorte de pierre tombale, une pierre qui n’a jamais existé pour ces manifestants foudroyés. Pareil pour les Kanaks exposés comme des animaux lors de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris, leur donner la dignité du récit était essentielle.

Ce personnage Manouchian… glaneur qui dépouille la presse vous ressemble ?

Depuis les années 60, j’ai toujours cheminé avec la musique de Ferré et les paroles d’Aragon en tête. Les rues de la banlieue d’où je viens portent les noms des compagnons de Manouchian. J’ai eu à cœur de rencontrer les survivants de son groupe, Tchakarian, Karayan, Inès Tounsi, le frère de Rino Della Negra et Mélinée avec laquelle j’ai discuté le 21 février 1974 lors de l’inauguration d’un édifice qui porte le nom de son mari. Quand j’ai décidé d’écrire sur Missak, en 2008, le hasard a voulu que je retrouve la famille de Missak et que sa petite-nièce m’autorise à consulter ses archives inédites. J’ai alors découvert un artiste, un poète, un jeune prolo qui décide de consacrer sa vie au geste artistique, qui pose pour les peintres de Montparnasse, qui crée des revues, qui place l’amitié et l’amour au plus haut de la recherche d’humanité, alors qu’on a réduit son passage sur terre à sa fin, à son sacrifice.

On a l’impression, puisque était déjà paru le roman « Missak » en 2009, que Manouchian a traversé votre vie ? Comme s’il y avait un lien familial ?

Missak Manouchian a éclairé les ombres de ma propre histoire familiale, celle d’un grand-père presque illettré qui devient maire communiste en banlieue nord, en 1935 puis qui refuse la logique mortifère du pacte Hitler Staline en 1939. Le meilleur ami de Missak, le poète Séma a fait le même cheminement avant d’être tué lors des premiers combats, en juin 40. Au moment où, dans toute l’Europe, le rouge se teinte de brun, les leçons à tirer de cette période méritent d’être réapprises. Cet album est complété par un dossier réalisé par Denis Peschanski sur le rôle décisif des étrangers dans la Résistance, à ne pas oublier ?

Avec Denis Peschanski, nous étions quelques-uns à nous battre depuis des années pour la panthéonisation de Missak Manouchian. Une victoire dans une époque où elles sont rares. Et cela a été l’occasion de s’apercevoir que sur les 200 étrangers résistants fusillés au Mont Valérien, près de 100 n’étaient toujours pas reconnus « Morts pour la France ». Cela a été réparé à la fin 2023, juste avant la célébration des 80 ans de l’exécution de Missak et ses compagnons. Pour en revenir à la première question : oui, il faut continuer à faire des histoires, sans relâche, pour faire rendre gorge à l’Histoire !