Le RN en tête et scénario déjà ficelé, l’abstention grande gagnante… À deux mois du scrutin, les élections européennes ne semblent pas intéresser les foules. En marge des sujets polémiques, un Orléanais et le “petit parti” Europe Démocratie Espéranto militent depuis des années pour une idée pour le moins atypique… voire audacieuse ?
Par Mael Petit
Règne-t-il un climat de défiance vis-à-vis de l’Union européenne ? Ce pourrait être la lecture des derniers sondages des élections européennes, qui confirment une montée de l’extrême droite un peu partout en Europe. Une tendance qui s’est dessinée ces dernières années ponctuées par les thèmes brûlants de la crise migratoire, du dérèglement climatique, du conflit en Ukraine, de la covid-19, ainsi que des défis économiques et sociaux qui dominent la scène de la campagne électorale en vue du scrutin du 9 juin. Parallèlement à ces préoccupations majeures, il émerge également une question cruciale, celle de la communication et de la compréhension au sein de l’Union européenne, relevant une déconnexion des dirigeants avec les citoyens européens. Dans le paysage politique européen, certaines voix tentent de poser ce sujet sur la table non sans difficulté.
Alors que le calendrier de la campagne s’est accéléré cette semaine avec les premières joutes télévisées mettant en scène les principaux prétendants, certains, moins bankables, tentent tant bien que mal de se faire entendre et défendre leur propre vision de l’Union européenne. Parmi ces écuries de l’ombre, on retrouve Europe Démocratie Espéranto (EDE) menée par Laure Patas d’Illiers dont le deuxième sur la liste est Pierre Dieumegard, professeur de SVT orléanais à la retraite. Au cœur de l’action d’EDE se trouve la promotion de l’espéranto comme « langue commune équitable » pour tous les Européens. « C’est une langue qui existe depuis 150 ans, beaucoup plus rigoureuse et précise, mais aussi moins complexe ce qui favorise son apprentissage », assure le locuteur espéranto loirétain.
Un déficit démocratique lié à l’hégémonie de l’anglais
Ces défenseurs d’une langue européenne commune souhaitent surmonter les barrières linguistiques et améliorer la communication et la compréhension mutuelle entre les citoyens européens. « Nous pensons que l’Union européenne fonctionne mal du point de vue démocratique notamment parce qu’il y a un problème de langues. Les citoyens de chaque pays ont une langue personnelle et n’arrivent pas à communiquer entre eux », regrette-t-il. Pour EDE l’argumentaire de l’indispensable unité de l’Union européenne s’érode en raison d’un manque de clarté de la part des institutions dans leur communication, qui résulte sur une crise de confiance générale des citoyens européens.
Dans leur viseur, l’anglais, langue la plus usitée au sein des instances bien qu’elle ne soit langue officielle que de deux pays membres seulement (Irlande et Malte) depuis le Brexit. « On entend de grands discours sur l’importance de la cohésion européenne, le vivre-ensemble, mais aujourd’hui l’UE n’est qu’un conglomérat de pays aux caractéristiques singulières, aux langues différentes, gouverné par une espèce de chapeau qui tente de rassembler, dénonce Pierre Dieumegard. L’élite anglophone qui nous gouverne ne communique pas avec les citoyens, il y a une coupure avec les gens qui nous gouvernent. Cela pourrait mieux fonctionner avec une meilleure circulation de l’information et une meilleure traduction des documents de l’Union européenne publiées uniquement en anglais. Dans ces conditions, difficile d’avoir un débat démocratique ».
« Nous avons la solution à un problème qui n’est pas reconnu »
Ce déficit démocratique dû « au manque de coordination d’ensemble » pointé par EDE expose à la division une Union européenne déjà fragilisée et mise au défi par la succession de crises ces dernières années. Et si en coulisse les membres de la liste Espéranto assurent échanger autour des événements récents qui secouent l’UE, le parti n’a pas vocation à fournir des propositions directes sur les dossiers chauds comme la guerre en Ukraine ou l’immigration. La promotion d’une langue européenne commune reste la principale revendication dans une campagne marquée par des sujets bien plus clivants et polémiques. « Il est vrai que nous avons la solution à un problème qui n’est pas reconnu », concède le second de la liste EDE. Et difficile de rendre essentiel ce combat quand le premier défi est déjà de faire connaitre l’espéranto à un large public. Le tout en composant avec la réalité économique d’une campagne électorale. EDE dispose d’un peu plus de 100.000 euros issus de donations et cotisations de membres et sympathisants. D’ailleurs le nombre d’affiches est limité et seuls quelques départements verront des circulaires. « On manque de moyens pour tout le territoire », reconnait le parti qui qualifie sa liste d’un « peu trop exotique » pour bénéficier d’un coup de projecteur de la presse, plus intéressée par le grand spectacle sur plateaux télé offerts par les principaux partis en lice.
Condamné à la débrouillardise pour faire campagne, EDE aura tout de même l’objectif de faire mieux que les 18 500 voix récoltés en 2019. On l’aura donc bien compris il faudra encore attendre un moment avant d’entendre l’espéranto au Parlement européen.