Ciné : Madame Hofmann rayonne sous le regard de Sébastien Lifshitz

Une fois de plus, le documentariste s’attache à une femme lumineuse qui porte sur elle les conditions de travail difficiles et dégradées des équipes médicales. Filmée pendant la période Covid, Sylvie Hofmann est trop usée. Elle décide de prendre sa retraite. Ce magnifique portrait nous va droit au cœur par son humanisme vécu au quotidien par une femme irréprochable et son observateur-réalisateur.

Sylvie Hofmann. Photo Agat films Arte-france 2023



Par Bernard Cassat


Sébastien Lifshitz est un portraitiste. On se souvient des Invisibles en 2012, qui donnait la parole et l’image à des homosexuels et qui retraçait leurs histoires. Et puis Les Vies de Thérèse, en 2017, portrait de Thérèse Clerc, une militante qui témoignait des luttes homosexuelles et féministes du XXe siècle. Aujourd’hui, il a filmé la vie de Madame Hofmann, une infirmière cadre du service oncologie de l’hôpital nord de Marseille.

Ses prises de vue se sont étalées sur plusieurs années. Les années Covid, en fait, de 2020 à 2022. Mais il va prolonger ses interventions, parce que Madame Hofmann, lessivée par ces années terribles pour le personnel médical, a décidé de prendre sa retraite.

Un format scope qui va chercher les détails

Tout commence dans les rues de Paris et de Marseille désertes, avec de somptueuses images au format scope. Car pour ses portraits, Lifshitz travaille énormément ses cadres, ses gros plans, ses vues plus larges. Pour mettre en images la vie de ses modèles, il veut une qualité qui va chercher les détails de sens, les indices de réflexion. C’est évidemment sa force, cet aspect formel qui ne s’affiche pas mais qui lui apporte une fluidité, un fil narratif qui va de soi. Si le visage de Madame Hofmann crève l’écran, c’est aussi parce qu’Elio Balézeaux, le jeune chef opérateur déniché par Sébastien, sait saisir la lumière intense de ses yeux bleus, le rayonnement de son demi-sourire lorsqu’elle parle, la rigueur blonde de ses cheveux courts. Le portrait n’est pas seulement psychologique, il est aussi, et peut-être surtout, physique. Cette femme occupe toute l’image, capte le regard et l’intérêt parce qu’elle est tellement bien filmée !

Alors bien sûr il y a la présence naturelle de Sylvie Hofmann, sa faconde toute méditerranéenne lorsqu’elle a « les nerfs en boudin », son immédiateté dans ses relations professionnelles. Elle est un vrai personnage, elle se raconte comme un roman lorsqu’elle parle d’elle-même, de sa vie. Et quelques images très intimes viennent lui donner l’ampleur d’un personnage de fiction, comme cette séquence dans un clair-obscur chatoyant de sa chambre à coucher, alors qu’elle dort. Ce qui prouve aussi le degré de proximité de l’équipe avec son modèle. Sylvie Hofmann n’est absolument pas dérangée par la caméra. Elle joue le jeu, son propre rôle, sans jouer, justement. Lifshitz a suffisamment d’expérience pour arriver à cela.

Sylvie et sa mère. Photo Agat films Arte-france-2023


En plus, et le réalisateur ne s’en cache pas pour justifier son choix, Madame Hofmann a une mère qui elle aussi est un personnage de roman. À 85 ans et après quatre cancers, elle rayonne autant que sa fille. Même si celle-ci ne cesse de parler de l’héritage « des mauvais gènes » de sa mère italienne d’origine, venue en France, travaillant comme fille de salle puis aide-soignante. Toutes deux habitent leurs vies, leur espace avec une évidence qui va de soi, sans chercher midi à quatorze heures.

Les équipes médicales pressurées par le Covid

Au-delà, ou autour de cette femme, il y a son métier, les équipes hospitalières, les impératifs monstrueux que le Covid instaure sur le nettoyage, les procédures supplémentaires à suivre, les masques, les malades en plus. C’est le deuxième sujet du film, que Sébastien Lifshitz laisse derrière son modèle. Tous les aspects médicaux sont abordés, comme dans cette séquence émouvante où deux infirmières massent un homme immobilisé, avec des gros plans des mains qui réconfortent. Et les discussions au sein de l’équipe, les autres services qui viennent se servir en matériel et en personnel. Mais tout cela n’est abordé que par le visage, le corps, la parole, les discussions de Madame Hofmann.

Sylvie à la plage avec sa fille et son petit-fils. Photo Agat films Arte-france 2023


Une fois de plus, Sébastien Lifshitz dresse un portrait enthousiasmant. Sa proximité idéologique avec son modèle, cet humanisme profond qui habite autant Sylvie que Sébastien, ressort à toutes les séquences. Certaines auraient peut-être pu durer moins longtemps, mais le film trouve un bel équilibre qui nous porte jusqu’à son terme sans aucune baisse de tension.

 


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