Certains plongent avec les requins, Pierre-Alain, lui, c’est avec les silures ! En Loire, ce géotechnicien, plongeur amateur, approche en douceur ces mastodontes d’eau douce aux barbillons si reconnaissables, pouvant atteindre les 3 m de long et plus de 130 kg. Des plongées au plus près de ces mal-aimés, plus gros carnassiers des eaux continentales d’Europe et si peu connus.
Pierre-Alain Gillet m’a bien proposé de plonger avec lui. Mais non, sans façon… La Loire, les silures… pas trop. J’ai sans doute eu tort car à en croire le Tourangeau, « ça vaut le coup ! » Du petit village d’Hommes, au nord-ouest de Langeais (Indre-et-Loire), ce géotechnicien, plonge depuis qu’il est gamin : « Partout où il y a de l’eau, de la mer aux étangs, des lacs aux carrières. Et toujours en apnée pour le côté libre et sportif. » Mais ses explorations subaquatiques en Loire, datent d’il y a seulement une dizaine d’années : « L’eau était trop trouble, on ne voyait rien… Depuis, les eaux de meilleure qualité se sont éclaircies, ce qui m’a permis de filmer et photographier. »
Six à sept heures dans l’eau par sortie
Car sous l’eau règne un univers méconnu et Pierre-Alain, qui ne fréquentait jusqu’ici la Loire qu’à travers des parties de pêche, compte bien désormais s’y aventurer. Objectif : approcher le plus gros carnassier des eaux douces de nos régions et d’Europe, le silure. « À Orléans ils sont moins gros car il y a moins d’eau. C’est sur Langeais et Saumur qu’il y a les plus beaux spécimens. »
En combi, masque et tuba, Pierre-Alain peut descendre jusqu’à 9 m de profondeur dans une eau allant de 9 à 22 degrés pour dénicher le silurus. Et ce, 6 à 7 heures durant avec des apnées qui peuvent atteindre 4 minutes 30. Pour cela, il connait les meilleurs spots et leurs endroits de prédilection : « le silure est une espèce grégaire qui dort la journée dans des coins calmes, sous des souches d’arbres immergées, calé dans des trous où il y a du courant, et qui se met en chasse la nuit. Ils n’ont pas de prédateurs en dehors de l’homme, et s’ils ne sont ni pêchés ni tués, on retrouve les mêmes. »
Arrivés par le Danube il y a 30-40 ans, leur migration s’est faite naturellement dans les cours d’eau avant que leur présence ne s’accélère par une introduction humaine qui a fait exploser les populations de ces carnivores opportunistes qui se repaissent de poissons, oiseaux d’eau, canards, rats… « Dans l’eau avec eux, les poissons ont moins peur de l’homme, c’est alors plus simple de les approcher. Notamment le silure qui est l’un des poissons les plus faciles à filmer : un véritable acteur, impressionnant quand on est à côté mais c’est tellement magique ! » Il faut dire que la bête est belle : 2,70 m pour 130 kg pour les plus grosses. Et parfois plus ! « Corps au ventre clair et à la peau douce sans écaille, entouré d’un mucus pour se protéger des bactéries, le silure grandit toute sa vie dans les milieux ouverts, et peut atteindre 80 ans. »
Une Loire à 30 degrés et un nouveau poisson
Mais aussi dociles puissent-ils être, les silures, barbillons déployés à l’affût de la moindre vibration, restent des poissons sauvages : « Même s’ils finissent par s’habituer à la présence de l’homme, ils peuvent mordre si on les embête un peu trop, comme un chat qui n’a plus envie qu’on le caresse : des petites morsures qu’ils peuvent infliger avec leurs dents, des centaines alignées comme une râpe. Mon objectif était de me faire accepter d’eux et de les prendre dans mes bras. »
L’occasion aussi pour Pierre-Alain d’évoluer dans un environnement subaquatique ligérien méconnu où le fond de l’eau est le terrain de jeu des symboliques brochets, sandres, carpes… « dans un décor de « fonds sableux à 90%, jaunes avec des branchages. » Mais la carte postale apparente est trompeuse : « il y a de moins en moins de silures, constate le plongeur, pêchés pour être transformés en steaks ou en rillettes. » Quant à l’eau, elle non plus n’échappe pas au réchauffement qui peut atteindre des températures tropicales de 28 à 30 degrés, voire au-delà comme en 2023 ! « Des températures que ne supportent pas certains poissons qui meurent comme les goujons, les spirlins, et réduisent la présence d’espèces comme les chevesnes. Ceci est notamment dû au manque d’apport d’eau du Massif Central, aux centrales nucléaires qui rejettent de l’eau plus chaude. » Mais ce n’est pas tout, Pierre-Alain a détecté la présence d’un nouveau poisson, l’aspe, arrivé lui aussi en Loire par le Danube depuis environ 6 ans. « Poisson qui ressemble à un gros chevesne, très sauvage et difficile à filmer, lui aussi carnivore et sans prédateur. »
Alors qu’il y a 10 ans, Pierre-Alain était l’un des quelques rares plongeurs à s’aventurer en Loire, l’appel des silures en a motivé bien d’autres, peut-être même trop… « Mais attention, la Loire reste dangereuse avec ses courants et ses tourbillons, prévient le Tourangeau. On n’y fait pas n’importe quoi. C’est un terrain d’initiés. Sans compter que les silures font parfois des mouvements brusques qui peuvent vous assommer. » A bon entendeur.
Chaine Youtube : www.youtube.com/watch?v=Pu95uhGIRQI
Photo de Une : Pierre-Alain Gillet