Lina Soualem continue sa documentation familiale. Une famille prestigieuse puisque sa mère est la grande actrice Hiam Abbass. Palestinienne exilée pour réaliser ses ambitions, elle est retournée avec sa fille dans la maison familiale pour raconter ses origines. Bye Bye Tibériade complète ainsi la recherche de Lina Soualem, qu’elle avait commencée avec Leur Algérie.
Lina Soualem et sa mère Hiam Abbass sur la terrasse de la maison familiale. Photo Frida Marzouk/Beall Productions Film Bye Bye Tibériade
Par Bernard Cassat
En octobre 2021, Les Carmes et l’Asla avaient proposé le film de Lina Soualem intitulé Leur Algérie. Elle y racontait sa famille paternelle, les Soualem, kabyles originaires d’un petit village près de Sétif. Ses grands-parents étaient venus en France au début des années 50, à Thiers (Puy-de-Dôme). Mabrouk Soualem a travaillé toute sa vie dans la coutellerie. Aïcha Soualem s’est totalement intégrée à la vie française sans le vouloir. Elle pensait toujours retourner au pays. L’un de leurs enfants, Zinedine Soualem, le père de Lina, né à Thiers, est devenu mime puis acteur. Lina avait construit un film de reconstitution de cette histoire, de ces histoires de vies dont les récits par les acteurs eux-mêmes laissaient des blancs. Avec des documents visuels retrouvés, elle avait complété ces manques.
Dans son nouveau film, Bye bye Tibériade, elle raconte cette fois-ci sa famille maternelle. Car elle est la fille de Hiam Abbass, grande actrice palestinienne que l’on a vue dans de nombreux films importants du monde arabe, et pas seulement : Satin rouge, de la Tunisienne Raja Amari, où elle est danseuse du ventre, mère d’un kamikaze dans Paradise Now de Hany Abu-Assad puis chez Eran Riklis dans Les Citronniers.
Quatre sœurs se retrouvent. Photo Frida Marzouk/Beall Productions Film Bye Bye Tibériade
Mais c’est surtout la vie privée de sa mère et celle de la famille qui intéressent Lina. Elle parcourt une fois de plus les trajets de ces générations de femmes palestiniennes ancrées au bord du lac de Tibériade. A partir de nombreux récits, documents audiovisuels ou photos, elle évoque la puissante énergie de sa mère qui a toujours voulu s’échapper de cette réalité, de cet endroit perdu pour devenir actrice, dans des années où cela, pour une femme arabe, n’était franchement pas courant. Mais sans jamais couper totalement ses racines, puisqu’elle est revenue souvent avec Lina voir les siens dans la maison de Deir Hanna. Qui porte déjà en soi une tragédie. L’arrière-grand-père de Lina s’est alors effondré, terrassé par la perte de sa maison de la ville de Tibériade, dont les forces anglaises ont évacué la population palestinienne en avril 48. C’est à Deir Hanna que sa grand-mère Neemat a élevé ses neuf enfants, dont Hiam. C’est d’ailleurs sur les lieux mêmes que Lina pose sa caméra. Sa mère et ses tantes qui sont là racontent aujourd’hui le passé. La grand-mère est décédée, mais des photos et des films familiaux permettent de la faire revivre. Il y a même des photos réunissant quatre générations de femmes, Lina étant bébé. Bains dans le lac dans les bras de sa mère, visites dans la famille. Et surtout Lina interroge sa mère. Hiam raconte avec une certaine réticence, une certaine distance. La douleur est là. Parce que si sa vie professionnelle est réussie, c’est au prix d’un arrachement tragique, qui a laissé de profondes cicatrices.
Une douleur sourde, celle de l’exil
Lina arrive à faire dire à sa mère toute la douleur de son départ. Qui avait un aspect formidable, enthousiasmant, puisqu’elle prenait sa vie en main et cherchait à se réaliser. Mais aussi une grande tristesse de quitter les siens. Partie à Haïfa pour des études de photos, puis à Londres, puis à Paris où elle s’installe définitivement avec son mari français, elle reste très modeste sur sa carrière. Qui pourtant est brillante et internationale. En témoigne sa participation, il y a peu, à la série Succession de HBO.
L’enquête familiale menée avec méthode quasi policière. Photo Frida Marzouk/Beall Productions Film Bye Bye Tibériade
Ce travail de documentation familiale de Lina Soualem est remarquable. Sa famille, autant la branche palestinienne qu’algérienne, a vécu le XXe siècle dans toute sa richesse, ses contradictions et ses drames. Le drame palestinien est plus brûlant que jamais. Hiam comme Lina refusent en ce moment d’en parler. Tant elles ont la gorge serrée. Depuis 80 ans, les fils tissés à travers la Méditerranée aboutissent à une personne, Lina, qui en racontant son histoire, nous raconte une facette de l’Histoire de France. Son travail documentaire ne perd pas une miette de ce qu’il peut récolter. Et c’est finalement de nous que parlent aussi ces deux films.
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