La municipalité de Saint-Pierre-des-Corps fête les 30 ans d’existence de sa bibliothèque et expose les travaux de Jean-Yves Barrier, son architecte. « En quête de la géométrie des rêves » est le titre de l’exposition. Pour la commenter, Magcentre s’est rapproché d’Elke Mittmann, curatrice de l’exposition et directrice de La Maison de l’Architecture Centre-Val de Loire.
Jean-Yves Barrier sous le regard d’Elke Mittmann (à D.) lors du vernissage de l’exposition. ©DR
Propos recueillis par Jean-Marc Dumas
Magcentre : A 74 ans, Barrier a de très nombreuses réalisations à son actif comme le montre l’exposition. Ses projets dans la ville de Saint-Pierre-des-Corps ont-ils été déterminants dans son parcours ?
Elke Mittmann : En fait le parcours artistique de JYB commence en 1968 par la peinture aux Beaux-Arts de Tours où il se lasse assez vite du classicisme de l’enseignement. Il s’initie alors, avec Pierre Halet, à la mise en scène théâtrale et particulièrement au théâtre expérimental. Parallèlement, il intègre l’Atelier d’urbanisme de la ville de Tours (ATU) crée et dirigé par Jean-Claude Drouin (architecte-urbaniste). Il y mène de grands projets urbains. Puis, diplômé architecte, il crée son agence à Tours.
Il a donc acquis une grande sensibilité et forte philosophie de l’espace, de l’urbain et de l’architecture lorsqu’il est lauréat en 1988 du concours pour le réaménagement et la restructuration du centre-ville de Saint-Pierre-des-Corps.
Exposer ses œuvres dans la bibliothèque qu’il a conçue et terminée en 1993, voilà une belle boucle.
Oui mais c’est un incendie qui en a décidé ainsi. L’exposition devait être installée dans la galerie du passage Emmanuel Chabrier. Mais au cours des émeutes de l’été 2023, soulevées par la mort du jeune Nahel Merzouk, la galerie a été incendiée et elle ne pouvait plus recevoir l’exposition.
La bibliothèque de Saint-Pierre-des-Corps a été imaginée par le Tourangeau au début des années 90. ©EM
À travers l’exposition, il semble que Barrier ait été imprégné par les théories architecturales et urbaines post-modernes comme ses réalisations semblent l’attester.
En effet l’opération urbaine « bibliothèque, salle des fêtes, auditorium », réalisée sous les deuxième et troisième mandats de maire de Marie-France Beaufils, s’inscrit précisément dans le champ « La Ville Européenne » porté entre autres par Rob Krier et Aldo Rossi. Les caractéristiques étant : insertion et tissage dans la structure urbaine préexistante, conformation au gabarit général, plan régulateur, modelage et modénature. Il s’agit là aussi d’une des thématiques de l’exposition. La ville de Saint-Pierre-des-Corps est assez homogène, il y a peu de verticalité. L’idée était de se mettre en rapport avec les harmonies déjà existantes. Le petit bâtiment de la mairie, fin XIXe début XXe a été le bâtiment de référence : son gabarit, ses modénatures, ses lignes… Quand on est en face de la mairie et de la salle des fêtes, on voit qu’il y a une ligne qui les relie, c’est le gabarit entre les deux. C’est une sorte de couture de la ville aussi. Le bâtiment de la bibliothèque a plusieurs particularités. L’entrée des visiteurs se fait par le bâtiment rond, « le temple cylindrique », point de départ vers les autres espaces. Le temple cylindrique est un motif très classique de l’Italie de la Renaissance, comme par exemple le Tempietto de Bramante à Rome. On est dans l’évocation de la ville européenne avec la place, des bâtiments anciens, le marché, etc.
Le quartier restructuré. ©JYB
La cause environnementale est-elle présente dans les conceptions de Jean-Yves Barrier ?
La sensibilité environnementale entre dans son processus de conception. C’est aussi une thématique qui court à travers ses réalisations. Comme beaucoup de jeunes architectes, au milieu des années 70, il est touché par la question environnementale avec le choc pétrolier et la publication du Rapport Meadows du M.I.T. : The Limits to Growth publié 1972 : « La planète n’est pas exploitable à l’infini ». Il commence à réfléchir à ce qu’est une maison solaire, bioclimatique, en s’inspirant de ce qui est vernaculaire : une orientation nord-sud en plaçant au nord les pièces tampons pour protéger la maison du froid et recevoir un maximum de soleil côté sud. Il réalise plusieurs bâtiments qui seront primés à la fin des années 70/début 80. Sa propre maison à Chambray-lès-Tours est une sorte de machine à produire de l’énergie. Et il continue cette recherche puisqu’en 2004, il réalise l’immeuble innovant Salvatierra proche de Rennes, construit en terre crue et matériaux bio-sourcés.
Peut-on aussi rapprocher le titre de l’exposition « En quête de la géométrie des rêves » avec les meubles qu’il conçoit ?
En 1993, Barrier a été le correspondant de Peter Eisenman lors du premier concours pour le futur CCC OD (Centre de Création Contemporaine Olivier Debré). La fréquentation d’Eisenman lui permet d’aborder l’univers de la déconstruction, de la fragmentation, de la géométrie fractale et du pli.
La lanterne qui surmonte le bâtiment rond de la bibliothèque, par son vitrage, est un exemple de pliage. On pourrait dire que c’est un élément formel, mais ce n’est pas que ça. Le pli sert à renforcer la structure. Éclairée, elle devient un signal dans la ville, un phare.
Le mobilier présenté dans l’exposition est simple et fonctionnel. Barrier conçoit le pli comme une forme de résistance. Le pli reste pour lui un élément de conception architecturale, de design comme pour ses lampes pliées.
Plus d’infos autrement sur Magcentre : Design et architecture : « Le regard ne peut exister sans une sensibilité philosophique et humaniste propre »