Delphine Horvilleur est femme et rabbin. Elle a écrit « Il n’y a pas de Ajar », monologue contre l’identité, dont s’est emparé l’actrice Johanna Nizard afin de le restituer sur scène. Du très grand théâtre !
Photo Pauline Le Goff
Par Bernard Thinat
Pénétrer dans cette ancienne halle inaugurée en 1850 et transformée en théâtre en 1985 avant que le ministère de la Culture n’attribue le label « Scène nationale » en 1993, est toujours un enchantement, d’autant qu’en cette fin d’après-midi de ce samedi 10 février, un orchestre animait le hall d’entrée. A l’affiche pour deux représentations, « Il n’y a pas de Ajar », spectacle qui depuis l’automne 2022 emplit les salles de spectacles un peu partout en France. Il était à la MC de Bourges quelques jours auparavant.
Photo Pauline Le Goff
Le texte de Delphine Horvilleur
Au départ, il y a ce subterfuge imaginé par Romain Gary, Prix Goncourt en 1956, qui écrit sous le pseudo d’Emile Ajar, pour lequel il recevra un second prix Goncourt en 1975. Il est seul en ce cas. La France littéraire découvrira la mystification en 1981 après son suicide. Delphine Horvilleur imagine un enfant d’Emile Ajar, prénommé Abraham, comme le patriarche de la religion juive, fils de Terah, et dit-elle, comme on a une certaine habitude d’inverser les voyelles, cela donne Abraham, fils de Taréh, « les juifs fils de Taréh ». Humour juif ! Et dans ce « Monologue contre l’identité », elle convoque toutes les marques de la judéité, à commencer par la circoncision à l’âge de 10 jours, ce qui permet à Johanna Nizard, ce moment gestuel qui va glacer d’effroi le public.
Entre humour et dénonciation de ces rituels religieux, de ces croyances en une identité propre, on ne sait pas trop où l’autrice se situe, quand l’actrice exhibe un prépuce. Tout autre que Delphine Horvilleur eut été couvert de haine et de boue, un journaliste de France Inter en a fait l’expérience récemment en évoquant celui du Premier ministre israélien. Seule cette femme rabbin pouvait en parler et écrire ce qu’elle a osé écrire.
Et de dénoncer toutes celles et ceux qui se réclament d’une identité, « illusion d’une identité » dit-elle, qu’elle soit religieuse, raciale, sexuelle, ethnique ou génétique, d’expliquer que chaque homme et chaque femme est le produit d’une éducation multiple. Lumineux !
Photo Pauline Le Goff
La performance / métamorphose de Johanna Nizard
Sous une apparence androgyne, revêtant plusieurs tuniques, jusqu’à se mettre nue, juste recouverte d’une combinaison aux multiples dessins, elle change sa voix, passant d’un timbre guttural à celui harmonieux de la féminité. Traversant de multiples miroirs verticaux qui la reflètent dans ses diverses postures et identités multiples, elle rejette tout cloisonnement grâce à l’humour corrosif de l’autrice. « Merde aux croyances » ose-t-elle. Du grand art ! Applaudissements chaleureux et nourris du public blésois au final.
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