« L’innocence » : l’amour caché entre vérité et mensonge

Le japonais Hirokazu Kore-eda, un habitué des prix à Cannes, met en scène dans son dernier film l’Innocence deux enfants attirés l’un par l’autre. Une fois de plus, il s’intéresse à l’enfance et à l’exclusion. Dans une narration très travaillée, il déploie sa riche maitrise dramatique dans un savoir-faire de réalisation très poussé.


Par Bernard Cassat


Kore-eda a construit une grande partie de son œuvre sur des personnages d’enfants (Tel père tel fils, en 2013, et Une affaire de famille, palme d’or à Cannes en 2018, entre autres). L’Innocence est dans cette veine, même si le scénario n’est pas de lui mais de Yūji Sakamoto. C’est d’ailleurs dans la catégorie scénario que le film a obtenu un prix à Cannes dernier.

Tout commence par un incendie

Et effectivement, la construction du film est tout à fait remarquable, comme si petit à petit les auteurs effeuillaient un secret que le contexte familial et social avait enfermé dans plusieurs peaux. Tout commence par un incendie. Chaque point de vue sera initié par ce feu dans la ville, ce feu qui détruit un lieu diabolique, celui d’amours rapides et tarifées. En lien avec le veuvage de Saori (Sakura Andō), la mère de Minato. Sans rapport avec sa situation actuelle, elle constate un dérèglement chez son fils, et veut le comprendre. Minato ne raconte rien. Garçon sensible mais timide, en tout cas en retrait, il ne parle pas d’une affaire qui a eu lieu à l’école. Saori va rencontrer les enseignants pour essayer de comprendre, mais se heurte à un mur. La première peau, la plus épaisse, c’est celle construite par la hiérarchie de l’école. On sait la civilisation japonaise très soucieuse des rites, des courbettes et de l’importance de garder la face. La directrice, dans une attitude de déni très étrange, impose au professeur de s’excuser plutôt que de s’expliquer. Ce qui évidemment complique la compréhension, pour la mère, de l’attitude de son fils.

La mère et son fils Minato. Photo Monster Film Committee


La deuxième peau, c’est celle qui recouvre le professeur, qui n’arrive pas à s’expliquer. De nombreux ragots planent sur lui, l’associant à ce lieu qui brûle. Dans l’école pourtant, cet homme s’intéresse aux élèves et comprend un certain nombre de choses, même si l’essentiel lui échappe. Il est intervenu plusieurs fois pour calmer des chahuts qui mettent en cause un autre élève, un petit ange nommé Eri, harcelé par ses copains qui le trouvent trop beau, trop précieux. Et pendant l’un de ces chahuts, le professeur heurte du coude le visage de Minato. L’affaire se précise.

Un mensonge protecteur

Le troisième point de vue, c’est celui de Minato. On revit des séquences déjà aperçues mais réinsérées dans leur contexte. Minato en fait veut défendre Eri contre tous les autres, sans pour autant se confronter ouvertement à la classe. Les réactions des autres enfants deviennent un harcèlement continuel. Les deux enfants construisent une attitude fausse, une attitude de mensonge, lorsqu’ils sont au milieu des autres. Mais Minato a trouvé un lieu de liberté cachée au fond d’un tunnel, un vieux wagon abandonné. Il en fait son refuge, et arrive à y attirer Eri. Ils passent là des moments n’appartenant qu’à eux. Ils y vivent, dans des images d’une intense émotion, leur attirance réciproque qui restera à l’état de regards chargés de profondeur. Cette troisième partie du film, merveilleuse de contenu simple et limpide, nous fait vraiment entrer dans le cœur de l’intrigue, cette relation hors de tout qui lie ces deux enfants, mais qui les exclut de la société des autres. Pourtant, dépouillée de tous les mensonges et des faux-fuyants de la relation sociale, elle touche à la vérité des caractères, à leur innocence première vécue en tant que telle.

Les deux enfants en pleine liberté. Photo Monster Film Committee


Parce qu’il y avait une autre issue possible, indiquée par une séquence tout à fait étonnante. Le personnage de la directrice de l’école cache un secret tragique qui explique son attitude étrange, le décès accidentel de sa petite fille qu’elle a renversée avec sa voiture, et dont elle a accusé son mari, incarcéré pour cela. Un mensonge donc, pour sauver la face. Dans la douleur bien sûr. Et dans la salle de musique, Minato lui dit qu’il ne peut plus mentir. Elle lui met un trombone dans les mains, prend elle-même un cor et tous deux soufflent ce qu’ils ne peuvent pas dire, ce pourquoi ils mentent.

Mais l’amour est un feu fascinant et dangereux. Qui finit tragiquement, dans des images magnifiques du wagon englouti sous un glissement de terrain. Alors qu’un chemin lumineux s’ouvre devant les deux enfants qui ont eu la force mentale de le construire.

 

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