Homme de gauche, Bernard Thinat nous livre ses commentaires sur la motion de rejet du projet de loi sur l’immigration adoptée à l’Assemblée nationale par la gauche, Les Républicains et l’extrême droite. Une « erreur politique » tant ce projet de loi, dangereux, méritait débat.
Par Bernard Thinat
Une motion de rejet de la loi sur l’immigration, loi défendue par le ministre de l’Intérieur, a obtenu une majorité courte, certes, mais suffisante pour renvoyer les débats ailleurs, hors du Palais Bourbon. Cette motion de rejet, proposée par le Groupe EELV, ayant le soutien des quatre groupes qui composent la Nupes, ou feu la Nupes, on ne sait pas trop, a reçu le renfort en séance plénière des groupes LR et associés, ainsi que le groupe RN.
De mon point de vue d’homme de gauche, il s’agit d’une erreur grave ! Pour un ensemble de raisons.
Assemblée Nationale
Tout d’abord, le Parlement est le lieu de débat. Voter cette motion de rejet, c’est refuser le débat, certes difficile dans la mesure où la droite et l’extrême-droite sont majoritaires. Mais justement, comment faire entendre par le pays, une voix de gauche, et celle-ci a énormément de choses à dire sur le sujet de l’immigration, discours à l’opposé de ceux des Darmanin, Ciotti et Le Pen ?
Je peux comprendre que les quatre groupes de gauche soient excédés par l’accumulation des recours à l’article 49.3 par le gouvernement. Mais voter cette motion de rejet, n’est-ce pas user de la même méthode, en refusant le débat ?
Ensuite, ce vote réunissant les voix de 270 députés, allant d’un extrême à l’autre, brouille tous les discours, jetant dans le même sac, racistes et anti-racistes, de quoi alimenter l’anti-parlementarisme, et malheureusement mettant sous l’éteignoir la pensée progressiste. Pourtant, celles et ceux qui en France sont sans-papiers, et qui occupent des emplois dans des secteurs dits « en tension », auraient sans nul doute, été heureux d’entendre des voix parlementaires plaidant pour leur régularisation. Et que dire de ceux qui ont des papiers, un emploi, qui paient des impôts, qui ont des enfants allant à l’école de la République, et pourtant menacés de ne plus percevoir la moindre allocation s’ils ne sont pas sur le sol français depuis cinq ans ? Cinq ans, une éternité !
Quant au comble des horreurs, le refus de l’aide médicale aux sans-papiers, voté au Sénat par Hugues Saury et Pauline Martin, sénateur et sénatrice du Loiret, tout frais élus par ces maires loirétains dits sans étiquette, refus contraire au serment d’Hippocrate des médecins, on eut aimé que l’Assemblée nationale tire un trait définitif sur cette abomination. Certes, la commission des Lois de l’Assemblée avait supprimé ces horreurs, mais un vote en séance plénière eût été salutaire.
Qu’en est-il maintenant ? Un retour au Sénat et son musée des horreurs comme l’a dénommé une association d’aide aux sans-papiers ? Une commission mixte paritaire (7 députés et 7 sénateurs) où les voix de gauche seront inaudibles ? C’est, semble-t-il, vers cette formule que l’on se dirige. Avec le spectre d’une dissolution qui, dans l’état actuel des choses, pourrait envoyer siéger un nombre invraisemblable de députés d’extrême-droite.
A gauche, la députée EELV Delphine Batho n’a pas voté la motion de rejet, parlant de « faute politique, parce qu’on est dans un moment de grande confusion … Il y a une limite aux manœuvres parlementaires », ajoute-t-elle. Elle semble être presque la seule à ne pas avoir sombré.