Au CDN d’Orléans, Dimitri Hatton casse les codes de la réussite et illumine l’échec

« Try again », avec comme sous-titre « constat d’échec à l’amiable », coproduit par le CDN, est un spectacle qui rappelle par certains moments Charlie Chaplin, mais avec une sacrée touche personnelle, et qui embarque le public dans une heure trente de folie jubilatoire, agrémentée d’une réflexion aux limites de la psychanalyse. Magcentre a rencontré l’artiste.

Par Bernard Thinat

La salle Vitez au théâtre d’Orléans était archipleine sur les trois représentations en création, avec un public conquis. On ne racontera pas le spectacle car c’est tout bonnement impossible. Au début, mais y a-t-il un début, tant tout apparaît foutraque. Dimitri Hatton utilise une quantité impressionnante d’objets de toutes sortes, ça vole, ça tombe, ça glisse, ça s’empile… Une bande son décline l’air de la reine de la nuit, quelques paroles d’Harpagon, le mot « tropisme » revient comme un leitmotiv, mais surtout « Try Again », c’est une performance exceptionnelle de l’artiste, sportive, circassienne, clownesque, jouant avec le public, faisant preuve d’une grande intelligence sur le plateau. Au final, il épongera, on ne sait plus quoi d’ailleurs !

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Magcentre : Vous pouvez présenter votre parcours d’artiste ?

DH : Je suis un pur produit de la culture orléanaise, j’ai même fait mon stage de 3ème au théâtre d’Orléans. J’ai intégré le Conservatoire d’Orléans où j’ai monté des groupes de musique, j’ai fait partie de « Vendeurs d’enclumes » qui existe encore.

J’ai assez vite monté des numéros de clown, burlesques, avec une mécanique de gags très précis, très écrits, et cela m’a permis d’intégrer le « Cirque du Soleil » au Québec. C’est une énorme machinerie québécoise qui propose une vingtaine de spectacles dans le monde entier. Je suis revenu en France et j’ai travaillé sur des formes contemporaines.


Venons-en à « Try again ». Cela fait déjà quelques années que vous travaillez à sa création ?

J’ai fait plusieurs résidences, en 2018 à Vatan, en 2020 à la Scène nationale d’Orléans. Mais la première fois que j’ai eu l’idée d’un spectacle sur l’échec, ce fut en 2013, cela fait 10 ans que l’idée existe. Mais à la base, on a des sensations personnelles, on n’est pas tous égaux face à la sensation d’échec : il y a des gens sur qui ça glisse complètement, d’autres sur qui cela s’accroche. Je fais plutôt partie de la « team, ça s’accroche ».


Comment vous définiriez-vous ? Circassien, clown, artiste, comédien ?

J’essaie de ne plus me définir. Je n’ai pas l’impression de faire du cirque. J’ai un rapport à l’équilibre, au déséquilibre, à la prise de risques, j’ai une formation de théâtre, et par envie, j’ai très vite bifurqué vers le clown. J’ai bien aimé l’idée que dans ce spectacle, il y ait des niveaux de jeu très différents, des moments extrêmement sincères qu’on aurait plus l’habitude de voir dans le théâtre documentaire, et des moments de jeu très potaches, surjoués, et je voulais voir comment tout cela pouvait cohabiter.

Photo Fred Hocké


On entend une bande son musicale un peu particulière.

Il y a « l’air de la Reine de la nuit » interprété par Foster Jenkins, une femme américaine qui ne savait pas très bien chanter, mais on l’encourageait. Je trouve qu’il y a une beauté dans sa version, une fragilité, avec des notes inatteignables qu’elle n’atteint pas. Ainsi qu’un air de Lully, sur les divertissements du roi, sur lequel je danse avec les moments les plus déréglés, les plus chaotiques.


J’ai entendu « C’est pas confortable d’être sur scène », cela vient d’où ?

Il s’agit d’un extrait d’une interview que nous avons réalisée au cours des trois dernières années auprès d’une cinquantaine de personnes sur la notion d’échec, la notion de réussite. Il y a beaucoup de ces extraits qui sont présents sur scène. Je trouvais très intéressante cette parole d’une femme qui en fait, parle d’elle. C’est juste un écho qui nous a touchés. Au début, elle dit qu’elle ne se sent pas à la hauteur. Ce sont des gens qui font des choses, mais qui ne se sentent pas à la hauteur. Qu’est-ce qu’on fait ? Comment vit-on avec ?


Votre spectacle, je présume, n’est pas réglé seconde après seconde, il y a une part d’impro ?

Bien sûr ! C’est un spectacle très frais, ce sont les premières dates cette semaine. On a pris beaucoup de temps à trouver, à donner la forme à toutes ces matières. J’ai fait beaucoup de « labo » au cours des trois dernières années. Comment pourrait-on imaginer un CNRS du plateau, de l’échec, de la chute. On a donc trouvé cette forme plus proche du laboratoire. Cela donne cette écriture très fragmentaire qui permet des incohérences de construction. A la fin, la pile de seaux s’écroule, mais c’est un des scénarios possibles. La pile aurait pu tenir, mais je peux me débrouiller pour que ça tombe et qu’on passe à autre chose. Ce qui me plaît dans le spectacle, c’est la frontière peu claire entre les moments où je mets en marche les moyens de l’échec, et ceux où je me fais surprendre. J’ai l’impression que le spectacle est un gros bateau sur une mer déchaînée et il faut tirer des bords, descendre des voiles…


C’est une jolie métaphore ! Des tournées sont prévues ?

A Corbeil-Essonnes, Vernouillet où je suis artiste associé, Issoudun… En fait, il y a trois volets. D’abord le spectacle lui-même, puis une exposition « Dépôt de bilan », et un troisième volet qui s’appelle « Nos Déconfitures ». On va dans un lieu en amont plusieurs semaines, on rencontre des habitants de ce territoire, on les interviewe sur l’échec, et on leur propose de venir au plateau sur une petite forme de 45 minutes. Les gens racontent leur échec en public, on a des scènes de groupe où on rate des choses ensemble. Cela permet de rencontrer des gens qui n’ont pas l’habitude de venir au théâtre.

Expo “Dépôt de Bilan” – Photo BT

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Conception, interprétation Dimitri Hatton
Collaboration dramaturgie, regard extérieur, direction d’acteur Clémence Larsimon
Collaboration dramaturgie, lumière Julien Brun
Collaboration dramaturgie, scénographie, vidéo Fred Hocké
Collaboration sonore, technologies numériques et électroniques Léopold Frey
Collaboration dramaturgie, regard avisé Marguerite Bordat
Collaboration mécanique comique Jos Houben
Construction décor, accessoires Bruno Banchereau, Greg Wattebled, Silvain Ohl

Plus d’infos autrement sur Magcentre : « Dorphé aux Enfers, Orléans 69 », anatomie d’une rumeur orléanaise

Commentaires

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  1. J’aurai bien aimé voir ce spectacle,mais je n’en n’ai vu aucune chronique antérieure pour pour le promotionner, apparemment, il n’en avait pas besoin,vu qu’il s’est donné à guichets fermés.

  2. J ai trouvé qu il en faisait beaucoup beaucoup dans la fausse maladresse, à la limite du lassant mais aussi des moments délicieux, un contraste entre lourdeur et délicatesse comme un spectacle pas encore dégrossi.

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