« Le temps d’aimer » : le tourbillon d’la vie

Katell Quillévéré nous raconte une magnifique histoire menée par le personnage de Madeleine. Femme libre, elle construit avec François une famille improbable où les sentiments prennent toute leur puissance. La réalisatrice nous entraine derrière les masques et joue avec la vérité des personnages. Superbe chronique inventive et romanesque d’une jeune cinéaste en pleine maturité.

Par Bernard Cassat

 

Madeleine ‘Anaïs Demoustier) et François (Vincent Lacoste) sur la plage des débuts. Photo Roger Arpajou

Le temps d’aimer, c’est une vingtaine d’années que couvre cette histoire d’amour, d’amours plutôt. Deux heures pour vingt ans, il y a donc forcément des ellipses. La narration trouve des subterfuges assez fins pour surmonter cette énorme difficulté, au cinéma, de faire passer le temps, de vieillir les acteurs, d’indiquer les changements de lieux sans déménager. On saute des étapes sans être perdu, on voit apparaître une petite fille et on comprend. Première gageure réussie.

Une deuxième, laisser aux personnages leur complexité sans chercher à tout expliquer, mais en leur donnant suffisamment d’épaisseur pour qu’ils existent pleinement à l’écran. Autant les parents que les enfants. Le travail d’écriture du scénario porte ses fruits, on découvre constamment de nouvelles nuances, des détails qui font remettre en question ce que l’on sait des personnages. Une grande fête masquée symbolise cette complexité des caractères, qui peuvent se cacher et pourtant vivre pleinement. Scène comme un exergue de ce travail, hors de l’histoire et pourtant résumant le point de vue des auteurs, Katell Quillévéré la réalisatrice et Gilles Taurand le scénariste, leur distance par rapport aux personnages : observateurs des masques, des faits, mais qui devinent et indiquent constamment l’ossature, l’histoire.

Quelques années plus tard, le mariage... Photo Roger Arpajou

Quelques années plus tard, le mariage… Photo Roger Arpajou

Madeleine l’a commencée avant le début du film. Le rappel insoutenable des femmes tondues à la libération l’inclut dans ces « femmes à boches » comme c’est écrit sur une banderole d’image d’archives. On n’en saura pas vraiment plus sur cette aventure qui a donné naissance à son fils, sinon que c’était sans doute une relation amoureuse. Quant à François, il déboule dans le film comme un zombie tombé du monde des riches désœuvrés. Après leur rencontre tout à fait par hasard, le jeu des deux acteurs va donner à ces personnages une profonde présence. Vincent Lacoste accentue la dichotomie de François, autant comme représentant de la classe aisée détaché du quotidien que comme jeune homme mal dans sa peau. Acteur minimaliste, sa présence à l’écran suffit à brouiller toutes les pistes et à rendre très proche ce personnage complexe et mystérieux. Anaïs Demoustier en Madeleine, jeune serveuse bretonne aux joues rouges, travailleuse énergique qui n’a pas froid aux yeux, s’empare de ce jeune homme vacant, qui peut être ne demandait que cela. Une fois les deux acteurs installés dans leurs personnages, le film nous entraine dans la très belle chronique de leur vie, leur ascension en tant que couple antinomique, l’équilibre qu’ils construisent et qui les rend heureux. Et le temps qu’il leur faut pour s’aimer vraiment, pour faire famille. Madeleine a du mal à aimer son fils, qu’elle rudoie souvent, sans pour autant le rejeter. Et François l’a sorti de l’eau, s’en est occupé tout de suite. Ca fait partie de l’alliance.

Les folles nuits de Chateauroux. Photo Roger Arpajou

Avec des épisodes improbables mais qui sonnent bien dans l’histoire, comme ce grand moment à Chateauroux, où ils deviennent tenanciers d’une boite pour Américains. C’est un peu forcer l’Histoire, Chateauroux n’a pas dû avoir un quartier aussi chaud dans les années cinquante. Mais l’histoire est trop belle. C’est là qu’ils vont se révéler un peu plus, l’un à l’autre et tous les deux au spectateur. Et s’aimer profondément. Une dizaine d’années après leur rencontre.

Ensuite, le dénouement parisien plonge toute la famille dans sa vérité. Et ramène Madeleine à son point de départ, tondue par la maladie, mais avec en plus cette richesse de la vie construite et l’acceptation de son fils qui s’en va en sachant qui est son père.

Film romanesque s’il en est, Le temps d’aimer tient magnifiquement sa promesse, raconter une belle histoire profonde avec bonheur, tendresse et aussi un côté sombre. Inscrit dans le temps, justement, il aborde des questions essentielles sans jamais prôner une morale bien-pensante. Avec un savoir-faire et un plaisir proche de Truffaud, Katell Quillévéré nous entraîne dans un tourbillon de vie !

 

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