Delphine Deloget, documentaliste et monteuse, vient de sortir son premier long métrage de fiction, Rien à perdre. Elle y met en scène une famille un peu marginale qui, après un accident domestique, se trouve confrontée à l’ASE, l’Aide Sociale à l’Enfance. Confrontation qui tourne au close combat et qui se résout par la fuite, puisque ce n’est qu’une histoire.
Par Bernard Cassat
Sylvie et ses deux enfants. Photo Curiosa Films
C’est avant tout un film de famille. Sylvie, la mère de deux enfants, en est le pivot. Femme complexe, ce personnage attachant a un pied dans la réalité, son côté mère de famille, son amour pour ses deux enfants, son énergie pour se sortir de situations difficiles. Et un pied dans la marginalité, qui la place devant des problèmes très lourds. Elle travaille dans un bar-boite de nuit rempli de gens comme elle, excessifs, énervés, écorchés et pas toujours réglos. Elle passe donc ses nuits à travailler pendant que ses deux enfants, Jean-Jacques l’ainé déjà grand ado et Sofiane le deuxième, âgé d’une dizaine d’années, sont seuls dans l’appartement. Ce n’est pas une famille classique sans histoire ; les deux enfants n’ont pas le même père, celui de Jean-Jacques est mort et il ne l’a jamais connu, celui de Sofiane est totalement absent de l’histoire. C’est peut-être pourquoi il est un enfant difficile. L’appartement non plus n’est pas un modèle de maison bien tenue. Sylvie navigue dans cette vie avec aisance. On est même étonné de son énergie calme et de son savoir-faire face à des clients plus que turbulents.
Et il y a aussi la famille d’où elle vient. On va découvrir petit à petit ses deux frères, Hervé le marginal lui aussi, plus jeune que Sylvie et qui se fait souvent héberger par sa sœur, et Alain, l’ainé droit dans ses bottes, le responsable qui au fond se découvrira très fragile. Tout ce petit monde qui fonctionne tant bien que mal s’effondre complètement à la suite de l’accident de friteuse, où Sofiane est brûlé sur toute la poitrine. Dans une scène magnifique et poignante, Jean-Jacques, en pleine nuit, pousse Sofiane blessé dans un caddy pour l’emmener à l’hôpital, alors que Sylvie est injoignable dans son bar. L’hôpital, comme il se doit, fait un signalement à l’ASE. La spirale infernale est enclenchée.
La réalité contre l’amour
Ce monde fait de bric et de broc va s’effondrer. La réalité (et on retrouve peut-être là le point de vue de la documentariste) joue contre l’amour. Sylvie n’est pas équilibrée face au quotidien, mais elle est aimante avec ses garçons. Le film surfe continuellement sur ce conflit. En choisissant, manifestement, le parti de l’amour. Le film devient ainsi une charge importante contre les services sociaux, machine à broyer les individus au nom de la sécurité. C’est évidemment révoltant de casser un lien aussi fort que celui d’une mère à son fils. Les travailleurs sociaux deviennent policiers, puis gardiens de prison. La justice est aussi en cause. La mère se bat, se débat contre un système qui a forcément le dernier mot. La brutalité est en face, la famille est ruinée, cassée, détruite.
Une continuelle tension
Dans une continuelle tension, qu’elle soit avant l’intervention de l’ASE ou après, qu’elle soit intrafamiliale ou sociale, Rien à perdre met mal à l’aise. Volontairement. C’est le point de vue choisi pour exposer cette confrontation avec les services sociaux. Savoir si cette histoire est représentative de la réalité est hors sujet. Le film déclenche une réflexion poussée sur la puissance des systèmes de protection de l’enfance, même si l’on sait qu’il penche du côté des victimes.
Un casting magnifique
Ce travail repose sur un casting remarquable. Virginie Efira tient ce rôle de haute voltige avec une richesse sans cesse efficace. A l’aise dans la marge comme dans le profond amour maternel, dans la rage comme dans l’abattement, elle fait passer en une seconde de l’un à l’autre avec une justesse impressionnante. Les deux enfants, Félix Lefebvre en Jean-Jacques et Alexis Tonetti en Sofiane, sont de vrais acteurs. India Hair, un peu à contre-emploi dans ce rôle de travailleuse sociale inflexible, fait monter la rage. La caméra les suit au plus près, avec même parfois des moments à l’épaule, d’où des images tremblantes et affolées. Jérôme Garcin dans l’Obs place ce film dans la mouvance des frères Dardenne, et cette filiation est assez juste. Le problème est lourd, les personnages marginaux et blessés par la vie, la situation n’a pas de solution. La fuite hors de la réalité ne peut exister que dans l’imagination de cette histoire…
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