« Fin de Partie » pour l’ATAO

Après 53 années de programmation théâtrale, l’ATAO a définitivement baissé le rideau avec « le Bourgeois Gentilhomme » en ce 21 novembre 2023. Magcentre revient sur ces années au travers d’une rencontre avec son président historique, Jean-Marie Caplanne, que tous les Orléanais amoureux du théâtre d’aujourd’hui connaissent.

 Par Bernard Thinat

Pourquoi ce titre, un peu funèbre ? Parce que le premier spectacle présenté par « l’Association Théâtre Aujourd’hui Orléans » fut précisément « Fin de Partie » de Samuel Beckett, le 26 novembre 1970, au vieux théâtre municipal à l’italienne, avec son plancher grinçant, ses piliers qui gênaient la visibilité, situé à l’emplacement de la mairie d’Orléans, face à l’Hôtel Groslot, et détruit à l’exception de la façade classée, quand l’actuel théâtre, au carré Saint-Vincent, fut inauguré.

Et entre cette date et le 21 novembre 2023, ce sont 318 spectacles qui furent programmés. Chapeau !


En 1970, c’étaient les débuts de la décentralisation culturelle mise en place par Malraux, mais dont les prémices avaient été semées par Jean Zay lors du Front populaire. C’est à cette époque que naît l’ATAO, à l’initiative d’un Vosgien arrivé à Orléans par mutation, Georges Noël, lequel avait connu à Colmar, une association qui accueillait des spectacles de théâtre, et qui a l’idée de reproduire la même chose à Orléans, ville à l’époque en pleine mutation urbanistique avec la création du quartier de La Source, son université et ses entreprises, telles le BRGM ou le CNRS, IBM ou Dior, « avec une population qui, par sa formation, avait d’autres aspirations que la télévision sur une chaîne unique le soir », précise malicieusement Jean-Marie Caplanne.

 

La salle à l’italienne dans l’ancien théâtre municipal


Georges Noël reçoit le soutien du Recteur de l’époque, Gérald Antoine qui sera resté 10 années en poste, du maire de la ville Roger Secrétain, et s’appuie sur une autre association, l’APAC et son ciné-club. Dès 1972, la Mairie et son nouveau maire René Thinat décide d’accorder le prêt de la salle ainsi qu’une subvention à l’ATAO. C’était « un public plutôt jeune, très intéressé par la lecture des premiers hebdos qui sortaient », se souvient-il. En 1975, le Carré Saint-Vincent est inauguré et Georges Noël laisse sa place de président de l’ATAO après cinq années de bons services. C’est ainsi que Jean-Marie Caplanne devient président de l’ATAO, un peu par manque de candidats.

Grâce à « la bienveillance des directeurs du Théâtre d’Orléans » qui se sont succédé, l’ATAO a perduré au fil des ans, jusqu’à une période très récente où « des décisions dont je ne m’explique pas vraiment le sens » tient-il à préciser, ont conduit à des restrictions de mises à disposition des salles municipales, que sont le Théâtre Gérard-Philipe et le Carré Saint-Vincent. Effectivement, le nombre de spectacles que propose annuellement l’ATAO varie : on en comptera jusqu’à 10 en 73/74 pour diminuer jusqu’à 3 en 2015/16. Avec une programmation variée, exigeante, mais jamais démagogique, avec des auteurs lors des premières années tels que Beckett, Ionesco, Genet, Brecht, Beaumarchais… et des metteurs en scène éloignés de toute facilité, que sont ou furent Bernard Sobel ou Jean-Pierre Vincent.

Souvenirs, souvenirs

Concernant les spectacles qui l’ont marqué, Jean-Marie Caplanne citera des programmes « à surprise », en premier lieu « Le Pouvoir des folies théâtrales » du metteur en scène flamand Jan Fabre, le 22 octobre 1985, Orléans s’étant révélée au final la seule ville en France à accueillir ce spectacle après Saint-Denis. Et d’expliquer qu’il avait fallu acheter des piles d’assiettes car des comédiens se tenaient debout sur ces piles pour les casser ensuite. Mais les assiettes achetées s’étant avérées trop fragiles, il avait fallu en acheter d’autres plus résistantes. Il avait fallu aussi se procurer deux perroquets, et les seuls qui avaient été trouvés, à Meung-sur-Loire, étaient des perroquets gris et non multicolores. Sans parler d’un moment au cours du spectacle où deux comédiens, entièrement nus, dansaient un tango, avec à la clé une lettre à la mairie, d’un colonel protestant contre cette séquence que son petit-fils avait vue aux actualités régionales de FR3 que la chaîne avait filmée et diffusée. Depuis, on a vu bien pire !


Concernant les spectacles « touchants », il cite « Les Enfants du silence », le 12 octobre 1983, avec des personnages muets et d’autres qui parlent. « L’institut des jeunes sourds » de Saint-Jean-de-la-Ruelle était venu et avait dialogué avec les artistes sur un bord de scène après le spectacle, « en silence et par signes », et « on sentait bien que celles et ceux de l’école des sourds étaient très touchés de voir un spectacle en langue des signes au théâtre ». Et de citer d’autres souvenirs… La venue du Grand Magic Circus de Jérôme Savary au Palais des Sports d’Orléans, le 29 mars 1973, avec « Les derniers jours de solitude de Robinson Crusoë », « Les Deschiens » de Jérôme Deschamps quand après le spectacle, des adolescents d’une école d’Olivet reprochent au metteur en scène de se moquer des pauvres gens.

En guise de conclusion

En 1990, à l’occasion des vingt ans de l’ATAO, l’Association a édité un document dans lequel on retrouve, outre le programme des vingt premières années, un article de Jean-Marie Caplanne, qui devrait être lu dans toutes les écoles de théâtre. Il écrivait : « On peut, dit-on, classer le théâtre en deux catégories : le théâtre qui rassure et le théâtre qui dérange. Le premier qui rassure, c’est celui qui, par le spectacle du monde qu’il donne, conforte le spectateur dans ses certitudes, voire ses préjugés. Celui qui dérange, par contre, secoue la torpeur toujours prête à nous engourdir et nous montre d’autres univers et d’autres relations. » C’était écrit en 1990, et ce me semble encore et toujours d’une brûlante actualité !

21 novembre 2023

Dernier spectacle de l’ATAO avant sa dissolution, « Le Bourgeois Gentilhomme » de « Monsieur de Molière », écrit et présenté au Château de Chambord devant le Roi en 1670, un an après le Tartuffe qui fit grincer beaucoup de dents à la Cour. La version très clownesque qu’en a donnée Guy Simon et sa Compagnie du Kronope avec masques et costumes extravagants, a ravi le nombreux public venu au théâtre d’Orléans, où l’on notait dans la salle, la présence du maire, Serge Grouard, pour cette dernière de l’association orléanaise.

Si de longs applaudissements ont salué les artistes sur scène, ils ont surtout remercié Jean-Marie Caplanne, Alain Labrouche et leur équipe, qui durant un demi-siècle, se sont évertués à maintenir une programmation théâtrale sur la Métropole orléanaise.

Les artistes du Bourgeois Gentilhomme lors des saluts – Photo B.T.

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