Initiée par un groupe de citoyens, cette table de banquet longue de 25 mètres ravive la mémoire de cet Orléanais, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts durant le Front populaire. Cette œuvre d’artiste qui appelle au partage et au souvenir a été inaugurée vendredi soir par Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale.
Par Jean-Jacques Talpin.
C’est une longue table de granit noir et poli qui reflète le ciel du parc Pasteur à Orléans. C’est aussi désormais un lieu du souvenir, comme une longue pierre tombale couverte de mots tirés des écrits de Jean Zay et entourés par des tabourets eux aussi en granit pour inciter au partage et au rassemblement. Ce lieu du souvenir conçu par les sculpteurs Anne et Patrick Poirier est là pour rappeler aux Orléanais la présence mais aussi l’œuvre de Jean Zay, ce journaliste radical devenu ministre sous le Front populaire et dont la dépouille repose depuis 2015 au Panthéon.
Assassiné il y a 80 ans par des miliciens français, Jean Zay est sans doute l’homme politique le plus important d’Orléans du 20ème siècle. Certes un lycée porte son nom, un Cercle et une association ravivent sans cesse sa mémoire mais jamais un tel hommage n’avait été rendu au journaliste devenu député puis ministre. Depuis 10 ans un groupe de fidèles, réunis par la Fondation de France et divers partenaires (Ministère de la culture, ville d’Orléans et Région) se mobilisent pour qu’une œuvre salue cet illustre citoyen de la ville.
C’est aujourd’hui chose faite avec cette longue table de 25 mètres où sont gravés des écrits du prisonnier Jean Zay dans sa prison de Riom durant la guerre mais qui associe aussi son épouse « à la fidélité exemplaire » Madeleine Zay.
Une mémoire qui reste vivante
Réalisée par les artistes Patrick et Anne Poirier (qui ont également fait don d’une autre œuvre au musée des Beaux-Arts d’Orléans), cette « table de banquet » fait référence aux banquets républicains, indissociablement liés à l’histoire républicaine mais se veut aussi table de pique-nique, d’échanges et de rassemblement. Un mot martelé par Serge Grouard vendredi soir pour l’inauguration de l’œuvre, le maire d’Orléans appelant au « rassemblement dans cette période qui rappelle parfois un antisémitisme odieux qui a marqué Jean Zay dans sa chair ». Pour cette inauguration marquée par des témoignages émouvants tout l’aréopage républicain du Loiret, mais aussi la gauche laïque, étaient présents autour de la famille, notamment des filles de Jean Zay, Catherine-Martin Zay et Hélène Mouchard-Zay qui ont engagé un travail inlassable pour que la mémoire de leur père reste vivante. Fidèle parmi les fidèles de cette mémoire, au sein du cercle Jean Zay et de l’Association des amis de Jean Zay, Pierre Allorant a replacé l’œuvre de l’homme politique dans son siècle et dans l’actualité sombre : « Face à l’obscurantisme de la haine et à la laideur de la barbarie, l’Éducation nationale et les Beaux-Arts demeurent les meilleures réponses de notre République ». Historien et académicien Pascal Ory lui aussi a évoqué l’œuvre du « plus jeune ministre de la 3ème République », de cet « homme politique porteur de valeurs comme la laïcité, un homme réformateur et fondateur ». Les chants émouvants d’élèves du lycée Jean Zay et du Conservatoire encadrés par Julien Joubert étaient là pour rappeler qu’en plus de nombreux faits d’armes politiques (création de l’ENA, du CNRS, du festival de Cannes entre autres) Jean Zay fut d’abord un ministre de l’Éducation nationale.
« L’école doit rechercher le bonheur ! »
Deux de ses successeurs étaient d’ailleurs présents, Jacques Toubon et Gabriel Attal, actuel locataire du ministère de la rue de Grenelle. Pour M. Attal, Jean Zay, « figure intemporelle et boussole », représente avant tout « le courage, l’exigence et l’esprit de création » mais aussi « un homme debout, cible de l’antisémitisme » tout en étant un des premiers combattants d’une « école qui doit élever chacun au plus haut de son potentiel ». Et Gabriel Attal de poursuivre son plaidoyer en rappelant que « l’école à la française est et reste un projet politique avec une école mixte, laïque et gratuite, lieu de démocratisation du savoir qui doit rester un sanctuaire ». Et cela tout en insistant pour que cette école cherche d’abord le bonheur : « On ne peut pas élever le niveau si les élèves, si les enseignants sont malheureux ». La mémoire de Jean Zay restera donc vivante pour les fidèles du parc Pasteur qui pourront aussi se reposer à l’ombre de deux saules plantés près de la table, des arbres qui évoquent les deux saules pleureurs que le prisonnier avait fait pousser dans la cour de la prison de Riom. « Un symbole de la liberté intérieure » comme le présente sa fille Hélène Mouchard-Zay. Dans quelques mois le centenaire de la naissance de Jean Zay et le 80e anniversaire de son assassinat seront célébrés à Orléans et Paris avec plusieurs manifestations. A terme, comme l’a rappelé Pierre Allorant, le « campus Madeleine » devrait aussi prendre le nom de cet illustre orléanais dont la vie et la mort entrent aujourd’hui en résonance forte avec l’actualité.
L’album photos de Valérie Thévenot