Le Centre Dramatique National de Tours programmait cette semaine la pièce « Ce qu’il faut dire », adaptée de trois récits de l’autrice camerounaise Léonora Miano, dans une mise en scène de Stanislas Nordey, déjà sur le plateau du Théâtre Olympia le mois dernier avec « Quartett ».
Par Bernard Thinat
Léonora Miano
L’autrice, lauréate du Prix Goncourt des lycéens en 2006, lequel a précédé un Prix Femina en 2013 et diverses récompenses, dissèque la période esclavagiste, le colonialisme, et plus récemment, « la blanchité qui ne saurait être comparée à la négritude » dit-elle, dans un texte qui vient de paraître aux Editions du Seuil dont le titre exact est « L’Opposé de la blancheur – Réflexions sur le problème blanc ».
Photo Jean-Louis Fernandez
En 2018, au théâtre de la Colline, était créée « Révélation », dans un texte où elle convoquait les âmes des rois africains qui avaient vendu leurs congénères aux trafiquants d’esclaves, organisateurs du « commerce triangulaire », devant un tribunal des dieux. Le choix du metteur en scène s’était porté sur le japonais Satoshi Miyagi, lequel était venu en France accompagné de sa troupe d’acteurs, danseurs et musiciens (au masculin et féminin), avec un très vif succès au final.
Et comme elle est aussi chanteuse, elle était au centre d’un spectacle présenté en octobre dernier à Bobigny, dont le titre incroyable était « La Foufoune not so in love ces jours-ci ». Je vous laisse traduire…
Photo Jean-Louis Fernandez
Ce qu’il faut dire
Dans une mise en scène très épurée, Stanislas Nordey fait jaillir le texte adressé au public (blanc à 99% dans la salle du théâtre Olympia) sans que rien ne puisse en perturber l’écoute, si ce n’est la percussionniste, Lucie Delmas, qui au tambour et à l’aide d’une sorte de pédale actionnée au pied, scande le texte admirable, qui résonne et interpelle.
En trois parties, les quatre artistes de couleur comme on dit (trois femmes et un homme sorties de l’école de théâtre de Strasbourg en 2019), nous restituent ce texte, telle une gifle adressée à « la blanchité », dénonçant le pillage des ressources des pays colonisés, le sort réservé aux Amérindiens en Amérique du Nord, quand une vidéo nous montre des généraux ventrus et souriants en 1914, saluant les noirs qui partaient au front vers la boucherie.
S’interrogeant sur le terme « Afrique » qui pour les colons débute à la frontière sub-saharienne, allant « au fond des choses » comme elle le dit, ne laissant aucun répit, aucune excuse à des Européens blancs « de souche », terme que Léonora Miano démonte de superbe manière.
Photo Jean-Louis Fernandez
La première artiste, assise immobile face à une caméra qui restitue son visage en très gros plan sur le mur du fond de plateau, chuchote, à peine un mouvement de la main, juste un regard qui se perd et revient vers la caméra ; la seconde arpentant tout le plateau, jette les mots qui fâchent, se lançant dans un terrible réquisitoire contre la colonisation ; le troisième rêve dans un monde nouveau (I have a dream), mais existe-t-il vraiment, quand la dernière conclut sur une société où « les héros des uns sont les bourreaux des autres ».
Tonnerre d’applaudissements pour un discours « qu’il faut entendre », quelle que soit sa couleur de peau. On peut se dire anti-raciste, ce discours-là, poétique, littéraire et musical, on se le prend en pleine face. Et ce théâtre-là fait un bien fou !
Ce qu’il faut dire
texte Léonora Miano
mise en scène Stanislas Nordey
avec
Océane Caïraty
Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa
Ysanis Padonou
Mélody Pini
et la percussionniste Lucie Delmas
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