Six ans après le célèbre discours d’Emmanuel Macron promettant, la main sur le cœur, que plus jamais personne ne dormirait dehors, les associations spécialisées dans la grande précarité sont pourtant unanimes : on n’a pas connu pareille situation depuis 40 ans.
Par Joséphine
Alerte rouge sur le mal-logement
Les cas de l’Indre-et-Loire et de Tours ne font pas exception : 150 enfants dorment à la rue chaque soir, malgré la constitution de collectifs de professeurs et de citoyens pour essayer de les mettre à l’abri ; le nombre de familles qui fait appel au 115 pour trouver un hébergement d’urgence a doublé en un an ; une masse d’hommes seuls n’appelle même plus le 115 et occupe des squats gérés par des marchands de sommeil, des tentes sur les bords de Loire ou n’importe quel interstice laissé vacant en ville ; une quinzaine de jeunes étrangers non pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance et en attente de leur procédure administrative d’appel, dorment dans des tentes, cachées sur un terrain vague en chantier ; la communauté des gens du voyage reste toujours aussi mal lotie dans le département, nombre de collectivités ne respectant pas la loi sur leur accueil ; une foule d’étrangers perdus dans les procédures administratives d’obtention d’un titre de séjour ne peut chercher ni logement ni emploi ; des populations en grande difficulté sont envoyées à Tours, éloignées de force de Paris par le plan de desserrement du gouvernement qui entend faire place nette pour les JO de l’été prochain, moment tête de gondole pour la « marque France ».
La voilà la situation à Tours depuis la rentrée. Le voilà le quotidien des associations, des bénévoles et des élus de gauche qui tentent de colmater les voies d’eau d’un navire qui peine de plus en plus à rester à flot, sous le regard gêné et silencieux de la Préfecture et les vociférations cyniques et sécuritaires d’une opposition de droite qui surfe sur le sentiment d’insécurité, histoire d’engranger quelques voix aux prochaines municipales, parfois avec l’aide d’une presse locale en mal de clics.
Anatomie d’une crise
Pourtant, les sujets à couvrir par les médias sont nombreux. Voilà quelques idées pour les camarades journalistes en panne d’inspiration et lassés par les questions de vidéo-surveillance ou de barbecues sauvages : quid du refus de la majorité macroniste, lors du vote de la loi de finances rectificative du printemps dernier, de rallonger les budgets de l’hébergement d’urgence, avec l’effet prévisible que l’on constate concrètement aujourd’hui ? Quid des centaines de logements vacants à Tours – sans compter sur les Airbnb – et du petit nombre d’investisseurs privés ayant profité de la loi Pinel et qui dominent le marché, entretenant artificiellement le niveau des loyers ? Quid des remises à la rue chaque semaine ou chaque mois de familles logées en hébergement d’urgence et qui doivent recommencer les démarches, avec le stress que cela comporte ? Quid de la gestion des migrants et réfugiés, en attente de régularisation et qui ne peuvent postuler ni à un emploi ni à une solution de logement, se retrouvant de fait à la rue ou pris en charge par des associations ? Et de là, un autre flot de questions s’ouvre : quid des centaines de demandes d’admission exceptionnelles au séjour accumulées depuis septembre 2022 et que visiblement la Préfecture a enterrées en mai dernier, actant ainsi des refus implicites de titres de séjour, faisant perdre 50 euros en timbres fiscaux à chaque demandeur, ne délivrant pas de récépissé permettant de récupérer le dossier afin de déposer une nouvelle demande ? Quid de l’explosion des refus de renouvellements de titres de séjour à des gens jusque-là bien intégrés, présents depuis des années en France, avec un travail, et qui risquent de tout perdre ? Et quid de la flambée du nombre d’OQTF (obligation de quitter le territoire français) délivrées par la Préfecture et qui n’offrent, comme unique perspective, que la clandestinité et la vulnérabilité ?
Pour les spécialistes du secteur de la solidarité à Tours, les élus et les fonctionnaires avec qui j’ai pu échanger, cette situation, c’est du jamais-vu, et ça ne risque pas de s’arranger rapidement. Pire, les associations se sentent totalement isolées à cause de la stratégie mise en place par la Préfecture : aucun dialogue, aucun échange, aucun rendez-vous, aucun lien formel n’est proposé avec les acteurs de la solidarité depuis des mois. Les services préfectoraux ont probablement également reçu la consigne de ne plus répondre aux questions ou sollicitations des journalistes sur ces questions. On devra donc s’en tenir à la communication officielle et à quelques hashtags #L’EtatVousProtège du cabinet du Préfet.
Un État responsable mais pas coupable ?
Pour chercher une explication à cet état de fait, certains s’interrogent sur la personnalité du Préfet d’Indre-et-Loire Patrice Latron, réputé peu connaisseur des questions sociales et qui s’est plutôt fait une spécialité des réponses sécuritaires, convoquant les escouades de CRS sur-équipés et les hélicos à la moindre manifestation de 200 personnes contre les violences policières ou lorsque 350 hippies à vélo ont défilé poliment devant le Tribunal pendant que le Convoi de l’eau traversait Tours cet été. Hors des questions de personne et plus vraisemblablement, M. Latron, est juste un haut fonctionnaire en fin de carrière, un ancien officier de l’armée ayant ensuite cheminé sous les ors de la République au cabinet du ministère des Anciens Combattants : il est un simple exécutant appliquant les consignes du gouvernement, probablement missionné pour jouer au méchant en durcissant les conditions de vie quotidienne des migrants et SDF afin qu’ils partent et désengorgent Tours, une des villes de la Région qui cumule le plus les problématiques de pauvreté et de mal-logement.
En attendant que nos hauts fonctionnaires relisent leurs vieux cours de philo de Sciences Po et s’interrogent sur le sens profond de leurs missions et sur la différence entre protéger le gouvernement, l’État ou les populations, un collectif tourangeau d’associations, de partis et d’élus appelle à manifester ce 11 novembre à 15h place Jean Jaurès pour garantir la dignité et les droits humains. Peut-être pourrions-nous cette fois faire l’économie d’un hélicoptère et espérer que les représentants de l’État daignent enfin rencontrer les associations, déjà saturées et à deux doigts d’être définitivement submergées ?
Plus d’infos autrement sur Magcentre: L’Asti dénonce une forme de maltraitance à la Préfecture du Loiret
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