« Déménagement », une pépite inespérée sortie en France trente ans après

Shinji Sōmai, réalisateur japonais, a fait une quinzaine de films avant de mourir en 2001. En 1993 était présenté à Cannes, dans la section Un certain regard, son film Déménagement. Aucun distributeur ne l’avait retenu. Le chef opérateur du film, Toyomichi Kurita, a supervisé une restauration et une numérisation. D’où une ressortie aujourd’hui sur les écrans.

Par Bernard Cassat.

Ren et sa mère au restaurant. Capture du trailer


Le cheminement de Ren, une petite fille d’une dizaine d’années pendant et après le divorce de ses parents, mis en scène et filmé par un maître, est totalement prenant. Le scénario nous introduit tout de suite dans cette famille qui sombre. Ren, intelligente, effrontée, curieuse et très sensible, mène la danse par ses questions et ses remarques à ses parents pendant leur dernier repas ensemble. L’atmosphère est tendue. D’ailleurs, dans tout le début du film, la caméra saisit des affrontements physiques, des bagarres simulées mais signifiantes, des coups donnés à l’autre. Tout le monde court après les autres, Ren après le camion de déménagement de son père, où sa mère l’attrape pour la monter, la mère court pour être à l’heure, Ren court dans la rue, seule.

L’espace intérieur réduit

Ren, son père et la cloison qui les sépare. Capture du trailer


L’agitation des corps, extrême, avec la caméra qui les suit au plus près, culmine dans une scène clé : après le déménagement de son père, Ren s’enferme dans la salle de bain et dans le silence. Sa mère, ne le supporte pas, le père arrive et dans cet appartement où les cloisons peuvent coulisser. Se joue alors un jeu de poursuite sauvage qui, dans l’étroit couloir devant la salle de bain, finit mal. Il y avait déjà eu un peu avant une poursuite entre la mère et sa fille dans ce même espace. Qui se resserre au fur et à mesure de la tension. La caméra franchit les cloisons, suit les personnages qui eux-mêmes suivent l’autre. La séquence se finira dans l’escalier, où le père est figé à droite de l’image coupée en deux par la cloison, tandis que sa fille, à gauche, l’attend assise sur son lit. Elle fait passer à travers la rampe une girafe en peluche qu’il avait demandée, mais il ne l’attrape pas. Passage de relais impossible entre eux.

Ren à l’école avant son éclat. Capture du trailer


La narration n’est pas linéaire. Elle nous montre Ren dans plusieurs situations, dans son quotidien. A l’école notamment, ou une scène très forte avec un bec Bunsen va se dérouler. Là encore la caméra est très proche des personnages, les enfants se groupent, s’écartent, Ren au centre dans un défi qui l’étonne elle-même. Très seule, au fond. Pourtant d’autres filles sont comme elle, en plein divorce des parents. Ressenti comme une épreuve, presqu’une injure quand les autres se moquent. Très seule chez elle aussi, où sa mère a instauré un protocole de vie avec répartition des tâches.

L’imaginaire rédempteur

Seule, mais débrouillarde et entreprenante. C’est ainsi que va s’ouvrir la dernière partie du film, une grande promenade sans doute dans son imaginaire, doublé de l’imaginaire collectif traditionnel. Elle s’arrange pour que toute la famille se retrouve dans une ville d’eau où est célébrée une grande fête traditionnelle. Ça se passe très mal entre eux, ils se retrouvent chacun seul dans la foule. Et Ren va vivre une nuit initiatique, déambuler dans des cérémonies rituelles de feu de paille, un peu comme des feux de la Saint-Jean. Images magnifiques d’étincelles dans la nuit. Il y a de l’exorcisme dans l’air, de l’incantation. Et Ren continue son voyage toute la nuit, est hébergée par un vieux sage qui l’avait arrosée par mégarde, traverse des ruisseaux et des forêts pour arriver au bord de la mer où un bateau de paille en feu va réconcilier celle qu’elle était avant le divorce avec celle qu’elle est devenue, en même temps que ses parents se réconcilient aussi. La force de cette imagination ouvre le monde du futur, le sien, celui où elle va être heureuse. L’enfance est terminée.

Ren interprétée par Tomoko Tabata. Capture du trailer


Ce voyage fantastique dans le cinéma, bien que très peu tape à l’œil, est époustouflant. Tout est maîtrisé, le scénario, la narration parfois hachée, parfois linéaire, les images toujours inventives, même dans la banalité des lieux et des choses. La jeune actrice, Tomoko Tabata, est prodigieuse. La bande son travaille les bruits de la réalité comme les respirations et les pas. Les personnages restent mystérieux, autant Ren que ses parents. Sa mère d’ailleurs ne cesse de lui dire « je ne te connais pas ! ». Et cette leçon magnifique sur le pouvoir de l’imagination met implicitement en exergue le pouvoir du cinéma. Heureuse ressortie d’un travail riche, fort, important.

 

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