Au troisième étage de l’institution musicale orléanaise, un nom fait figure d’intrus au sein des compositeurs illustrant une salle. Aux côtés de Fauré, Dukas ou Berlioz figure Gabez. Les jeunes générations ignorent que Fernand Gabez (1893-1979) était un éminent professeur du XXe siècle dont les descendants poursuivent la tradition musicale dans la métropole orléanaise.
Par Anne-Cécile Chapuis.
Panneau signalétique du troisième étage du Conservatoire d’Orléans. Photo AC Chapuis
Fernand Gabez, c’est toute une époque. Né à Lille et arrivé à Orléans dans les années 1920, c’est un musicien démuni suite à la Première Guerre mondiale. Son premier geste sera de se procurer un violon. Chez le luthier, il achète un modèle bas de gamme, mais va vite l’échanger pour un modèle italien, conservé par ses descendants. Plus tard, il confiera des planches d’acajou rapportées des îles par un cousin à son luthier qui en fera un violon inhabituel. Ses deux violons – mon « italien » et mon « exotique » disait-il – sont aujourd’hui entre les mains expertes de son petit-fils Philippe et arrière-petit-fils Olivier.
De multiples fonctions musicales
Il est chargé de cours au conservatoire, mais à l’époque, c’était un rôle honorifique non rétribué. Pour vivre, Fernand travaille au cinéma l’Artistic : il assure l’illustration musicale des films muets, jouant du violon, du piano ou dirigeant un ensemble de musique de chambre. Il y avait deux séances par jour, pas de relâche, et auparavant, il fallait visionner le film, choisir les musiques, répéter. Intense. Il a accueilli avec soulagement l’avènement du cinéma parlant.
Fernand Gabez au début de sa carrière. Photo familiale
La fonction de professeur de violon s’étoffe. Avec ses collègues il fonde le « Quatuor Gabez » : Alfred Couat est au second violon, Henri Proust à l’alto, François Babaud au violoncelle. Une photo de ce quatuor des années 70 ornait la salle il y a peu. Il poursuit une longue carrière au conservatoire et au sein de l’orchestre d’Orléans.
Il est connu par ses contributions pédagogiques, et notamment plusieurs méthodes de violon toujours en vente aujourd’hui, ou ses transcriptions pour violon des suites de Bach.
Ses anciens élèves se rappellent d’un professeur attentif et enjoué, qui les accompagnait au piano pour soutenir les sons parfois ingrats du violon débutant.
Une famille de musiciens
Les deux enfants de Fernand feront de la musique, l’une au violon l’autre au piano. Ses trois petits-fils commencent par le piano, et l’un d’eux, Philippe, découvre le violon avec son grand-père. Le déclic : le vibrato qui permet les sons expressifs. Il en fera sa carrière après avoir rejoint le conservatoire directement en fin de cursus. Dans la lignée de Fernand, Il développe l’enseignement de la musique, devient directeur de l’école de musique de Chécy, fonde plusieurs orchestres amateurs (Les Violons d’Ingres et Opus 45 qu’il dirige toujours aujourd’hui et qui va fêter ses 30 ans) est à l’origine de l’Orchestre Symphonique du Loiret.
Philippe, Olivier et Daphné Gabez dans la salle éponyme, aujourd’hui salle d’alto. Photo AC Chapuis
Ses deux fils ont rejoint l’orchestre de leur père dès leur plus jeune âge, Matthieu au violoncelle et Olivier au violon. Et Daphné, 6 ans, est inscrite en initiation musicale au conservatoire d’Orléans, dans le sillage de sa famille. Elle se perd un peu dans les « arrière » grands-pères, mais n’hésite pas à tester le violon centenaire.
La musique est présente dans cette famille de musiciens qui aiment à jouer ensemble. Heureusement, les épouses et belles filles sont mélomanes et assurent le rôle de fidèle public !
Gabez, comme la salle ?
Les élèves d’Olivier, professeur des écoles, se sont interrogés sur la salle Gabez. « Vous vous appelez Gabez, comme la salle ? » A travers ce titre et cette petite plaque, c’est toute une époque du Conservatoire, de son orchestre et de la ville d’Orléans.
La famille Gabez devant la salle qui porte leur nom. De G à D : Philippe, Daphné, Olivier. Photo AC Chapuis
Comme en témoignent Philippe Barbier et Jean-Dominique Burtin dans leur ouvrage « Orchestre Symphonique d’Orléans 1921-2021 » : « On ne peut pas passer à côté de la curiosité d’aborder les familles de musiciens qui y ont contribué, de père en fils, de mère en fille… Ces familles orléanaises ont ainsi été un véritable vivier pour la formation symphonique locale… »
Fernand Gabez serait fier de cette destinée, sa poursuite et son dynamisme cent ans plus tard. Il mérite bien son nom sur la porte de la salle où il a enseigné pendant près de quarante ans !
Pour en savoir plus :
Un livre évènement pour les cent ans de l’Orchestre symphonique d’Orléans
L’orchestre Opus 45