« Notre corps » : le cinéma du réel de Claire Simon

Claire Simon, réalisatrice de docu, a capté le corps de femmes dans ces moments où il est confié à une équipe médicale. Avec beaucoup d’intelligence et de savoir-faire, elle regarde affectueusement ces corps et les replace dans leur histoire. Le destin l’amènera elle aussi devant la caméra. Film puissant, film qui parle à la première personne, Notre corps est un témoignage bouleversant.

Par Bernard Cassat.


Il existe à l’hôpital Tenon à Paris un service « gynécologie, obstétrique et médecine de la reproduction ». La productrice Kristina Larsen y a passé un long moment, et a introduit son amie Claire Simon dans ce monde hospitalier. Ainsi est né ce projet, un documentaire comme sait en faire la réalisatrice, avec un angle très personnel. Claire Simon voulait saisir ces instants essentiels de la vie, naissance et mort, début et fin, en les incarnant au maximum, en montrant explicitement les corps exposés aux autres dans ce contexte hospitalier qui implique un rapport humain inhabituel et exigeant. Parce que c’est vraiment du corps qu’il s’agit, du corps des femmes puisqu’on est en gynéco.

Une écoute extraordinaire

Ce service s’occupe aussi beaucoup des trans, écoutés, conseillés et suivis. Un entretien avec une jeune lycéenne enceinte désirant une IVG saisit à l’image la qualité d’écoute de cette équipe avec une complicité et une admiration palpable. La relation, la discussion passe alors avant le corps. D’ailleurs on ne voit pas la jeune fille, cachée sous sa capuche.

Une naissance filmée de très près. Photo Dulac Distribution


Par séquences qui prennent le temps de transmettre les histoires des femmes qui vivent des moments importants de leur vie, le film aborde de nombreux aspects du travail de ce service. La naissance bien sûr. La caméra a pénétré dans une salle d’accouchement. Une parturiente et une sage-femme. Leur rapport, le travail de ce corps, les vagues d’efforts vécues par cette femme, les eaux perdues, les sensations inconnues, inquiétantes, douloureuses, dominées, vécues seule en osmose avec la sage-femme, et puis la sortie du bébé et l’accueil de la mère, l’entente solidaire de la soignante, cette longue séquence forme en soi un film magnifique.

Une FIV sous l’œil de la caméra

Et Notre corps renferme plusieurs films aussi intenses que celui-là. Certains sujets sont plus techniques, comme une FIV vécue au microscope. On n’avait jamais vu d’aussi près cette technique incroyablement précise, le prélèvement des ovocytes, le tri des spermatozoïdes, la fécondation elle-même. Ce ne sont plus des corps, mais des cellules. Avec toute la puissance de la machinerie qui désormais permet de voir cela. Tout comme, dans une autre séquence, une intervention grâce à un robot. Histoires anonymes mais qui font partie du travail sur les corps, au moment où ceux-ci n’appartiennent plus à la personnalité, mais deviennent un terrain d’intervention.

Claire Simon, elle même patiente. Photo Dulac Distribution


Et puis ce moment où le film devient encore plus une œuvre personnelle, l’annonce à Claire Simon d’un cancer du sein. Elle souhaitait filmer une telle annonce, mais l’équipe médicale avait refusé. C’est un moment trop intime, trop intense. Mais lorsqu’il s’est agi de la réalisatrice, l’équipe a accepté. Logique jusqu’au bout, Claire a aussi montré son corps à l’image, son corps qui allait être mutilé. On voit un peu plus tard dans le film une autre femme après l’ablation d’un de ses seins.

Violence contre le corps des femmes, violence rédemptrice dans ces cas-là. Mais toutes ne le sont pas. Une manifestation de femmes devant l’hôpital le rappelle. Certaines pratiques et attitudes de gynécologues agressent sans aucune raison. Claire Simon tenait à s’y associer.

Le scénario du réel

Quand l’affection remplace parfois les soins. Photo Dulac Distribution


Ce vaste documentaire prend le temps de dresser une fresque touchante pleine de corps féminins qui transmettent la beauté des formes, la qualité de la peau, l’importance du contact, du toucher, la délicatesse de la caresse réconfortante. Comme cette femme médecin qui ausculte une malade agée, qui lui caresse la main après le ventre pour lui annoncer que la fin est proche. Et l’acceptation incroyablement digne de cette femme au seuil de la mort. Un magistral moment de cinéma du réel.

 

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