La partie de chasse tragique date de 77 ans, mais le dossier n’est toujours pas définitivement refermé. La décision de la commission de révision de la Cour de cassation, attendue le 5 octobre, inquiète le comité de défense.
Par Pierre Belsoeur
Ceux qui se battent depuis 1980 pour que l’honneur de Raymond Mis et Gabriel Thiennot soit lavé pensaient avoir fait le plus difficile en obtenant, en novembre 2021 la modification de l’article 622 du code de procédure pénale. La nouvelle rédaction indiquait que des aveux obtenus par la violence ne pouvaient être retenus pour prononcer une condamnation.
C’était l’article qui manquait aux magistrats de la Cour de cassation pour accepter de réviser la condamnation de Raymond Mis et Gabriel Thiennot, condamnés par trois cours d’assises (entre 1947 et 1950) pour le meurtre, le 29 décembre 1946, du garde-chasse Louis Boistard à Saint-Michel-en-Brenne (Indre). La commission de révision avait refusé à six reprises de rouvrir le dossier faute de texte permettant de fonder leur jugement. Pourtant, à la veille de retourner pour la septième fois à Paris entendre la décision des juges, Léandre Boizeau, créateur du comité de soutien et auteur du livre « Ils sont innocents », n’est pas vraiment serein.
Une thèse nouvelle
« Je m’interroge, nous confie celui qui a pu consulter l’ensemble du dossier d’instruction avant de vérifier tous les éléments opposés à la défense de Mis et Thiennot. La thèse développée lors de la présentation du dossier, en juin dernier, par l’avocat général est ahurissante. Selon lui la nouvelle loi s’appliquerait à Raymond Mis, mais pas à Gabriel Thiennot ni à Bernard Chauvet l’un des six autres membres du groupe de chasseurs qui participaient à la partie de chasse mortelle ».
La raison de ce raisonnement ? Thiennot et Chauvet auraient avoué plus vite que leurs camarades ! « Or, rappelle Léandre Boizeau, Gabriel Thiennot a été arrêté dès le 30 décembre, alors que le corps du garde n’avait pas encore été retrouvé et la déposition qu’on lui a fait signer date du 5 janvier, soit au bout de sept jours de garde à vue dans la gendarmerie de Mézières. Lui a été arrêté le lundi, ses amis le mercredi et ils ont signé deux jours après lui ». Léandre Boizeau s’étonne que l’on puisse écarter des faits de violence lorsque les jeunes gens sont attachés, souffrent du froid, de la privation de nourriture et de sommeil.
« Les interrogatoires avaient lieu la nuit, conduits par le commissaire Georges Daraud de la PJ de Limoges, qui avait été à la tête du commissariat du Blanc pendant l’occupation, chargé notamment de conduire les Juifs vers le camp d’internement de Douadic, révoqué à la Libération et réintégré six mois plus tard dans la police. Un ancien collabo face à Thiennot jeune résistant, un an après la guerre, a gardé ses mauvaises habitudes pour obtenir des aveux. Notre avocat a d’ailleurs fait passer en requête supplémentaire le curriculum vitae du policier aux magistrats ».
La loi d’Eric Dupond-Moretti ?
Ce que redoute le président du comité de défense, c’est la lecture que les magistrats vont faire d’une loi voulue et préparée par Eric Dupond-Moretti, un garde des Sceaux avec lequel ils n’entretiennent pas, c’est un euphémisme, les meilleures relations. Ils estiment en particulier que ce texte, adopté à l’unanimité au parlement, n’est qu’un texte de circonstance pour l’affaire Mis et Thiennot.
Si les magistrats suivent l’avocat général, il leur faudra tirer un trait sur les dépositions des gardiens de la prison de Châteauroux, qui ont demandé l’intervention d’un médecin, avant de prendre en charge les jeunes chasseurs, et considérer comme nulles toutes les incohérences de l’enquête prouvées par le comité de soutien. Soixante-dix-sept ans plus tard la justice peut-elle affirmer que Gabriel Thiennot est le seul auteur du crime de Saint-Michel-en-Brenne sans se ridiculiser ?
Réponse le 5 octobre à Paris. De toutes façons pour Raymond Mis et Gabriel Thiennot, morts en 2009 et 2003, il est trop tard.
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