Au CDN de Tours, Jacques Vincey nous offre de flamboyantes « liaisons dangereuses »

Pour sa dernière création tourangelle, le metteur en scène et Directeur du CDN fait revivre le chef d’œuvre de Choderlos de Laclos, dans une réécriture du dramaturge est-allemand Heiner Müller pour mieux en faire jaillir la beauté sulfureuse du texte : « Quartett » à quatre personnages et deux acteurs.

 Par Bernard Thinat


Courte escapade théâtrale d’un soir dans la cité tourangelle, les TER Rémi d’Orléans à Tours partent et arrivent à l’heure prévue. Le Théâtre Olympia, conçu en lieu et place d’un cinéma éponyme, ouvert en 2002, abrite le CDN tourangeau au sein d’une relative petite structure, avec une salle confortable de 450 places. Non loin trône le « Grand Théâtre » et sa façade monumentale datant de 1872 classée aux Monuments historiques, qui abrite l’Opéra  de Tours et l’orchestre symphonique de la Région. Ici, l’accueil et l’ambiance sont chaleureuses, le public aime bavarder dedans dehors par cette douce soirée de fin d’été.

Photo Christophe Raynaud de Lage


« Les Liaisons dangereuses » de Laclos est un roman épistolaire (175 lettres en tout), paru en 1782, et relatant les mœurs libertines et scandaleuses dans la noblesse de l’époque, où un vicomte (Valmont) et une comtesse (Merteuil) s’emploient à détruire l’honnêteté et l’avenir de deux femmes, l’une mariée et bigote, l’autre tout juste sortie du couvent à quinze ans. L’écriture de Laclos est un chef d’œuvre absolu. Heiner Müller l’a transposé au théâtre dans une réécriture qui convertit les lettres en un dialogue entre ces deux monstres libertins lesquels jouent à échanger les rôles pour mieux prendre ensuite ceux des deux femmes anéanties par le libertinage.

Décor lunaire, ou celui d’un abri antiatomique. Le salon du 18ème semble devenu poussière, recouvert d’un drap gris. Mais Heiner Müller n’indiquait-il pas dans une didascalie, que la fin de la pièce se situait dans un bunker après la 3ème guerre mondiale, façon de placer ce duel hors de l’histoire.

Photo Christophe Raynaud de Lage


Sur le plateau, deux artistes exceptionnels : Hélène Alexandridis et Stanislas Nordey. La première, actrice fétiche de Jacques Vincey, est d’une froideur à toute épreuve de laquelle émerge cependant un zeste d’émotion dans la voix, notamment lors du prologue derrière le rideau avant qu’il ne tombe. Le second, qui multiplie les rôles et les mises en scène depuis qu’il a quitté le direction du TNS de Strasbourg, on l’a vu au théâtre de la Tête Noire à Saran dernièrement avec « la Question » d’Henri Alleg, puis interviewé à l’occasion par MagCentre, à la voix reconnaissable entre toutes comme d’ailleurs les plus grands acteurs, à la démarche et aux gestes d’une précision absolue, impose une présence quelque peu diabolique dans son costume et ses souliers du 18ème siècle. Les perruques très hautes des deux artistes paraissent à quelque détail près, semblables, façon pour le metteur en scène de montrer que les deux personnages sont interchangeables, et finalement sans identité de genre.

La scène la plus forte est sans doute celle où Valmont (Nordey) fait s’agenouiller la jeune Cécile de Volanges (Alexandridis), pour quasiment lui intimer l’ordre, au nom de Dieu, de se livrer aux hommes. Nordey est fabuleux à ce moment précis.

Jacques Vincey a eu la bonne idée d’inclure un troisième personnage sur scène, le musicien Alexandre Meyer, dont la guitare saz égrène ses notes, lors des pauses théâtrales, moments où la tension redescend avant une nouvelle joute oratoire.

Très beau spectacle incandescent qui fera date, pour une dernière de Jacques Vincey au CDN de Tours, d’une heure un quart, infiniment littéraire, mais mieux vaut connaître l’œuvre de Laclos au risque de se perdre dans les changements de personnages interprétés par les deux artistes du plateau. Un beau succès nourri par de chaleureux applaudissements.

De gauche à droite, Hélène Alexandridis, Alexandre Meyer le musicien et Stanislas Nordey – Photo B.T.

 

Le spectacle sera repris en Région Centre Val de Loire dans les trois Scènes Nationales : à l’Equinoxe de Châteauroux le 12 octobre, à la Halle aux Grains de Blois le 22 février, et à la Maison de la Culture de Bourges du 14 au 16 mai. Il se joue au Théâtre Olympia de Tours jusqu’au 7 octobre

Quartett
Texte de Heiner Müller
Traduction de Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux
Mise en scène Jacques Vincey

Avec
Hélène Alexandridis
Stanislas Nordey
et le musicien Alexandre Meyer

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