Créée à Avignon cet été lors du Festival Off, « l’île des esclaves » de Marivaux où maîtres et valets échangent leurs statuts, est enrichie par une mise à nu des relations internes à la troupe théâtrale. Public ravi !
Par Bernard Thinat
« Le théâtre peut-il réparer le monde », telle est la conclusion de la dernière mise en scène de Christophe Lidon, Directeur artistique du CADO d’Orléans, qui, s’emparant de la pièce de Marivaux écrite en 1721, offre au public un va et vient constant entre une période qui porte les prémices de la Révolution, et notre époque qu’on sait délabrée tant d’un point de vue social qu’écologique, au travers d’un conflit entre le metteur en scène et ses acteurs et actrices se plaignant de n’être ni écoutés, ni payées.
Vincent Lorimy et Armand Eloi – Photo Barbara Buchmann-Cotterot
La pièce de Marivaux
L’affaire imaginée par Marivaux est assez simple : après un échouage quelque part en mer, voilà deux couples (deux hommes d’un côté et deux femmes de l’autre, mais ne voyez pas de trace d’homosexualité dans la pièce de Marivaux) qui débarquent sur une île peuplée d’anciens esclaves en révolte. On n’en verra au final qu’un seul, Trivelin, qui ne veut pas s’avouer chef, mais qui l’est néanmoins. Il s’agit donc d’une micro société qui refuse autant l’esclavage que les maîtres, les seigneurs, ceux qui possèdent et dirigent le monde, utopie égalitariste, communiste avant l’heure. Les nouveaux arrivants voient alors leur statuts interchangés, les maîtres devenant valets, et les valets devenant maîtres. Au final, tout ce petit monde se rassemble dans, selon une terminologie marxiste, une réconciliation des classes, que l’on sait impossible et qui n’a jamais eu lieu nulle part. En fait, la pièce pose le problème du Pouvoir face au peuple et Valérie Alane cite le philosophe Gilles Deleuze : « Le Pouvoir s’appuie sur nos tristesses pour faire de nous des esclaves ».
Les textes additionnels
Christophe Lidon a judicieusement, entre les différents tableaux de la pièce de Marivaux, intercalé des saynètes, écrites par l’actrice Valérie Alane, où les intérêts des acteurs et du metteur en scène s’opposent sans concession, manière de dire que l’égalitarisme prôné par Marivaux est sans doute une idée louable, mais impossible à tenir. La pièce s’ouvre par la lecture du début de « Gulliver » de Jonathan Swift, écrit la même année que « l’île des esclaves ». Clin d’œil à la pièce programmée par le CADO en décembre, même si Christophe Lidon s’en défend. C’est sans doute vrai !
Thomas Cousseau – Photo Barbara Buchmann-Cotterot
La troupe
La troupe réunie par Christophe Lidon porte en elle tous les ingrédients de la pièce, ou plutôt des deux pièces puisque l’une est imbriquée dans l’autre. Ce sont les actrices et acteurs qui accompagnent d’ordinaire le metteur en scène dans ses médiations, dans les rencontres au musée des Beaux-Arts d’Orléans, que ce dernier a choisi de réunir sur le plateau, troupe d’amis selon le mot de Christophe Lidon qui les connaît depuis plus de trente ans. Peut-être sortent du lot les deux valets, Morgane Lombard et Vincent Lorimy auxquels on décernera une mention particulière pour leur interprétation, mais tous les cinq méritent d’être cités, avec Valérie Alane, Thomas Cousseau et Armand Éloi.
Les costumes, toujours appréciés, sont comme d’habitude de Chouchane Abello-Tcherpachian, la scénographie magnifique lorsque l’île se crée comme par magie sur le plateau, de Christophe Lidon lui-même.
A l’affiche du Théâtre d’Orléans jusqu’au 1er octobre
Réservation au guichet du théâtre ou sur le site du CADO
Interview de Christophe Lidon à suivre…
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